Lettre ouverte au Conseil départemental à propos des jeunes mineurs non accompagnés
La reconnaissance de la minorité des mineurs non accompagnés est toujours très aléatoire et parfois diffère d’un département à l’autre. Il faut souvent faire appel au tribunal pour se faire reconnaitre mineur !
Il se trouve des conseils départementaux qui font appel de la décision du tribunal alors que ces jeunes ont entamé un parcours scolaire et une véritable intégration. C’est le cas du Maine et Loire, qui certes en a le droit, mais qui ainsi veut réduire le nombre de jeunes pris en charge. Là encore les décisions sont assez aléatoires !
Ci-dessous nous publions une lettre ouverte de M Thibaudeau, dans laquelle il explique très bien le parcours de deux jeunes qu’il a accompagné. Une lecture plus humaine de la situation de ces jeunes aurait permis au conseil départemental de ne pas interjeté appel
Lettre ouverte à Mmes et MM les conseillers départementaux du Maine et Loire concernant la situation de deux mineurs non accompagnés venus du Cameroun J’ai connu Y. et B., deux jeunes camerounais, mineurs non accompagnés (MNA), en novembre 2017 dans le cadre des ateliers de français organisés par le GREF (Groupement des éducateurs sans frontière) au Centre Robert Schuman dans le quartier Monplaisir. Comme une dizaine d’autres jeunes étrangers, à l’issue de leur évaluation par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE), ils n’avaient pas été reconnus mineurs. Ils avaient déposé un recours auprès de la juge des enfants mais n’ayant droit à aucune aide pendant cette période ils vivaient au squat de la Vendange, bien encadrés et soutenus par diverses associations. Au GREF un groupe spécifique avait été créé pour eux où j’intervenais avec quatre autres bénévoles. Les trouvant particulièrement fatigués, j’ai proposé à Y. et B. de venir passer des weekends chez moi, en famille. Dormir dans un bon lit, manger à sa faim, récupérer des vêtements propres, ces répits leur ont fait du bien mais ne nous ont pas paru suffisants compte tenu de leur état de santé et des liens créés. C’est pourquoi, en janvier 2018, nous avons décidé, mon épouse et moi, de les héberger complètement jusqu’à la décision du juge des enfants. Nous savions que cette action individuelle, citoyenne, allait nous engager fortement, modifier notre vie quotidienne et nos projets à court et moyen terme, mais nous étions sûrs qu’elle serait très riche humainement. Cela aurait pu être une belle histoire. Les deux jeunes ont été très bien accueillis dans notre famille (au sens large) et dans notre réseau d’amis. Grâce à l’Aide Médicale d’Etat obtenue par les associations, leur santé s’est améliorée. Y. a continué courageusement son traitement contre la tuberculose jusqu’à sa guérison. Un kiné a réparé ses blessures reçues pendant les tentatives de passage de la grille de Ceuta au Maroc. B. s’est fait soigner les dents et a accepté un suivi psychologique pour cicatriser les blessures du voyage. Ils ont continué à venir avec moi au GREF, à raison de trois matinées par semaine, mais leur niveau scolaire était bon et ça ne leur suffisait plus. Grâce à une relation, nous avons réussi à les scolariser au lycée Sainte Agnès en mars 2018. Y. et B. ont été accueillis avec tact et bienveillance par l’équipe éducative, ont mis un point d’honneur à être au niveau en travaillant d’arrache pied et, en élargissant leurs relations à des jeunes de leur âge, ils se sont complètement épanouis. Par ailleurs, une association locale (Loir Actions Solidaires) ayant pris en charge leurs cartes de bus, ils étaient devenus autonomes pour leurs déplacements. Cette période heureuse a été couronnée par deux très bonnes nouvelles (la juge des enfants confirmant la minorité d’Y. le 30 mai 2018 et celle de B. le 27 juin et les confiant à l’ASE). Nous pensions tous que l’avenir enfin s’ouvrait. Grâce à leur motivation et à leur sérieux, ils allaient, en poursuivant leurs études, accéder aux métiers qui les intéressent et réussir à s’intégrer complètement. C’était sans compter sur l’appel interjeté par le département… Surprise, incompréhension, déception, colère… nous sommes passés par toutes ces phases. Mais les associations nous ont dit que les dossiers d’Y. et B. étaient solides et qu’il y avait peu de risques qu’ils perdent leurs droits… Les jeunes ont donc placé la menace dans un petit coin de leur tête et ont continué leur chemin. La prise en charge par l’ASE fut un peu lente et chaotique au cours de l’été et les services de l’ASE ont refusé sèchement toute coopération pour que le processus d’orientation et d’affectation se fasse dans de bonnes conditions. Y. et B. ont tout de même pu être scolarisés en septembre, en 2° année de Bac Pro, dans un Lycée public (Henri Dunant) et dans un Lycée privé (Le Cèdre). Ils se plaisent dans ces formations professionnelles où ils sont appréciés de tous, et ils ont trouvé et commencé leurs stages. Mais les convocations au tribunal ont fini par arriver : le 28 septembre pour Y., le 9 novembre pour B.. Ainsi, la menace est réapparue et a pris plus de place dans leur tête au détriment des capacités de travail et de la joie de vivre. Et toute la tête a été envahie quand la décision de la cour d’appel est tombée pour Y. le 29 octobre, donnant raison au département. Le jour même, on lui a annoncé qu’il n’était plus pris en charge, qu’il devait quitter l’appartement où il était hébergé et qu’il pouvait aller dormir au 115. Cette nouvelle a également dévasté B., avant même la réponse de la cour d’appel le concernant. Elle vient d’arriver le 14 janvier 2019, la même que pour Y. Et le même rejet immédiat : il faut quitter l’appartement dans la journée ! Leur élan est brisé, leur moral est gravement atteint. Ces jeunes sont à nouveau en danger. Ils ont parfois l’impression de devenir fou… Que vont-ils devenir ? Est-ce à nous de nous substituer au département qui se défausse de ses responsabilités et de sa mission de protection de l’enfance ? Ces jeunes seraient maintenant majeurs alors que leurs documents, y compris une carte consulaire obtenue à l’ambassade du Cameroun à Paris, attestent qu’ils sont mineurs ? Toutes les personnes au courant de cette situation sont scandalisées, et elles commencent à être nombreuses. Comment a-t-on pu prendre cette décision de faire appel sans envisager les conséquences humaines sur des jeunes pris en charge depuis plusieurs mois et investis à fond dans leurs projets? Même si le département avait encore un doute après la décision de la juge des enfants, le doute ne devait-il pas profiter aux jeunes ? Qui a décidé d’une telle politique ? J’ai voulu comprendre le mécanisme d’une telle décision. Vient-elle des services ou des élus ? J’ai d’abord rencontré mes deux conseillers départementaux qui, n’appartenant pas à la commission Enfance-Famille, n’étaient pas au courant de cette pratique de l’appel et se sont montrés émus par la situation des deux jeunes. Après plusieurs demandes, nous avons fini, mon épouse et moi, par être reçus le 14 novembre par l’élue responsable de la commission Enfance-Famille, assistée de son directeur des services. Au cours de ce long entretien, parfois tendu, nous avons retracé le parcours des deux jeunes et nous avons dénoncé les conditions dans lesquelles s’est faite leur évaluation de minorité et surtout le fait que le département ait fait appel du jugement confirmant leur minorité. En réponse, le directeur des services a présenté l’action de protection de l’enfance du département comme exemplaire et reconnue par les plus hautes autorités alors même qu’il doit faire face à des arrivées nombreuses de jeunes étrangers. Il considère que le département a le droit de faire appel car, selon lui, beaucoup de ces jeunes qui se disent mineurs ne le sont pas. La responsable de la commission, plus sensible à la situation humaine des deux jeunes, lui a tout de même demandé de revoir leur dossier. Quelques jours plus tard, j’ai reçu un appel du directeur des services me disant que tout a été fait dans les règles et qu’il ne peut rien changer à la situation même si mes arguments le font réfléchir… Puis la responsable de la commission, qui reconnait que ces deux cas lui posent problème, m’a dit aussi qu’il ne peut y avoir de retour en arrière. Chacun semble regretter la situation créée mais personne n’en prend vraiment la responsabilité. Je ne peux donc pas répondre à la question du décisionnaire mais mon hypothèse est que des consignes de fermeté ont été données aux services par les élus (commission, présidence ?) afin de rendre le département moins attractif pour les MNA, et que dans les services quelqu’un a fait du zèle en lançant cette pratique de l’appel, sans en prévoir les conséquences humaines (ou en s’en moquant). Tant pis pour les dégâts collatéraux ! Et les élus responsables du secteur ne veulent sans doute pas désavouer leurs services. Est-ce cela la protection de l’enfance ? Voila pourquoi j’en appelle à vous, Mmes et MM les conseillers départementaux afin que, à partir de ces cas concrets, vous puissiez débattre de cette pratique de l’appel, certes légalement possible mais humainement destructrice. Bien sûr, mon espoir est que vous décidiez d’y mettre un terme. Si on ne peut pas réparer l’injustice faite à Y. et B., au moins pourrait-on éviter de nouveaux drames à l’avenir. Le 14 janvier 2019 Alain Thibaudeau - Les Grandes Varennes – Villevêque |
