Le point de vue de l’Association ELENA FRANCE Projet de Loi Asile Mars 2018

Deux ans seulement après l’entrée en vigueur de la loi du 29 juillet 2015, le gouvernement présente un projet modifiant une nouvelle fois le Droit d’Asile. Il est vrai que l’état des lieux dressé par les praticiens – avocats, juges, et associations- pointe les nombreuses défaillances du système actuel.
La Loi de 2015 a considérablement réduit les délais d’instruction et de jugement des demandes d’asile, aussi bien par l’OFPRA que par la CNDA.
Elle a réduit d’autant les chances du requérant d’asile d’avoir accès à son juge et spécialement à une formation collégiale de jugement, par l’introduction des Juges uniques (24,1 % des décisions rendues) et l’usage exponentiel des ordonnances (25,9 % des décisions de la CNDA en 2017) qui conduit à ce que le requérant ne rencontre jamais son juge !
Malheureusement le projet présenté, loin de corriger ces défaillances, porte atteinte aux droits des demandeurs d’asile.
Le diagnostic de départ, « nos délais d’examen des demandes d’asile demeurent trop longs » est erroné et par conséquent les propositions faîtes le sont aussi.
- Un postulat erroné.
Les délais d’instruction de la demande d’asile par l’OFPRA et la CNDA ne sont pas trop longs, au contraire de ceux de l’accès à la procédure d’asile.
Dans les faits, le demandeur d’asile doit attendre plusieurs mois avant que sa demande soit enregistrée en Préfecture et pendant cette période le demandeur n’a aucun droit et n’est pas protégé.
Le délai moyen d’instruction à l’OFPRA est de 3 mois.
Le délai moyen global de jugement devant la CNDA est lui de 5 mois et 6 jours.
Ces délais sont très raisonnables et même rapides.
« L’accélération à tout prix » n’est pas compatible avec le respect des droits fondamentaux de personnes en situation de vulnérabilité. Si les délais de jugement ne doivent pas être excessifs, ils ne doivent pas non plus être expéditifs, et doivent permettre au demandeur d’asile de présenter son dossier et à la juridiction de l’instruire correctement.
- Les solutions proposées ne semblent pas adaptées
Elena France, comme d’autres acteurs du secteur, conteste :
– La fixation à 90 jours du délai après l’entrée sur le territoire français pour déposer une demande d’asile, sous peine de faire l’objet d’une « procédure accélérée », c’est-à-dire expéditive et moins protectrice.
Il faut plus de moyens pour permettre concrètement un enregistrement plus rapide des demandes en préfecture.
– La réduction à 15 jours du délai pour exercer un recours devant la CNDA.
Le délai actuel d’un mois pour exercer un recours devant la CNDA est déjà un délai dérogatoire au droit commun de deux mois, alors même que les demandeurs d’asile sont des justiciables en situation de grande précarité et alors que la CNDA est une juridiction qui statue sans appel possible, ce qui veut dire qu’elle est la seule qui aura à examiner la situation de fait du demandeur d’asile.En pratique, beaucoup de demandeurs d’asile n’auront pas assez de temps pour introduire leur recours dans un délai aussi restreint. Cette réduction des délais porte atteinte au droit au recours effectif.
– L’absence de caractère suspensif de certains recours devant la CNDA.
Tous les demandeurs d’asile doivent pouvoir se maintenir sur le territoire français jusqu’à ce qu’une décision ait été rendue par un juge, cela a été rappelé par la Cour Européenne des Droits de l’Homme.
– La possibilité d’imposer au demandeur d’asile, tout au long de la procédure, une langue qui n’est pasla sienne, dont « il a une connaissance suffisante ».
– La notification des convocations et décisions de l’OFPRA par « tout moyen ».
Une telle notification ne permet pas le contrôle de l’envoi et de la réception des convocations et décisions, et est donc facteur d’insécurité.
– Le recours à la visio-conférence pour auditionner les demandeurs d’asile.
Cette généralisation de la visioconférence, sans le consentement du justiciable, est non seulement contraire à la jurisprudence du Conseil Constitutionnel, mais aussi critiquée par les acteurs du contentieux, à commencer par les juges.
– L’extension de la compétence du Juge unique aux décisions de retrait de statut alors même que ces dossiers soulèvent des difficultés sérieuses nécessitant la collégialité.
– L’interdiction pour le demandeur d’asile débouté de solliciter un titre de séjour sur un autre fondement.
Ces multiples réductions des droits du demandeur d’asile constituent des atteintes graves aux garanties consacrées par la Constitution, la Convention de Genève et le Droit de l’Union et remettent en cause l’impératif de protection qui découle de ces textes.
Comme Elena France, des juges de l’Asile, des rapporteurs, des officiers de protection, le Haut Commissariat aux Réfugiés, la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme, le Défenseur des Droits, le Commissaire Européen aux Droit de l’Homme, le Contrôleur Général des lieux de Privation de Liberté ont manifesté leurs inquiétudes quant à ce projet de loi, qui, chose inédite, fait l’unanimité contre lui.
ELENA propose des nombreux AMENDEMENTS au texte de loi
