Jeunes trans : en mémoire de leurs morts, luttons pour leur vie
Tribune collective signée par la LDH, publiée dans Libération
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Dix-sept personnes trans sont mortes cette année en France, des morts politiques, liées aux violences et aux discriminations qui s’exercent à l’encontre de cette jeunesse, alerte un collectif de personnalités politiques et 83 organisations, à l’occasion du Jour du souvenir trans.
Depuis 1999, les communautés trans se retrouvent le 20 novembre à l’occasion du Jour du souvenir trans. C’est une journée de lutte, de deuil et de mémoire. Chaque année, nous rendons hommage à des personnes tuées, d’autres emportées par la pauvreté, le VIH ou le suicide. Elles étaient au moins 17 cette année en France. Elles avaient entre 17 ans et 35 ans. Ces morts sont politiques et sont les conséquences directes des violences et discriminations à l’encontre de la jeunesse trans.
Aujourd’hui, de plus en plus de mineur·es trouvent l’espace pour interroger leur genre, mais leur accès à un parcours de transition se trouve régulièrement au coeur d’importantes polémiques, dont ils et elles sont les premières victimes. Trop peu de mineur·es trans ont accès à un accompagnement à l’écoute de leurs besoins, prenant en compte les spécificités de l’adolescence, ses questionnements, ses vulnérabilités. Lorsqu’il existe des professionnels de santé accueillant·es et formé·es à proximité de leur domicile, leurs consultations sont bien trop souvent saturées. A cela s’ajoute un désintérêt de l’industrie pharmaceutique qui privilégie le profit à la santé des personnes : pénuries de testostérone, traitements hormonaux peu adaptés, indisponibilité d’oestrogènes injectables.
Au-delà d’un accompagnement de leur parcours de transition, les jeunes personnes trans se heurtent également à de nombreuses barrières dans leur accès à la santé. Les discriminations et mauvais traitements subis de la part du personnel soignant sont fréquents, ce qui amène certaines personnes à ne pas consulter un·e professionnel·le de santé. Dans le cas des mineur·es, l’accès à la santé est parfois un moyen de pression utilisé par les parents, qui peuvent volontairement en restreindre l’accès, ou à l’inverse contraindre leur enfant à consulter tel ou tel spécialiste, souvent des psychiatres, sans respecter leur consentement.
Une jeune personne trans sur cinq se retrouve exclu·e du domicile parental en raison d’un conflit
Le soutien familial et l’acceptation sociale (en milieu scolaire notamment) jouent ainsi un rôle central pour permettre aux jeunes personnes trans d’évoluer dans un environnement respectueux. Mais près d’une jeune personne trans sur cinq se retrouve exclu·e du domicile parental en raison d’un conflit. Pour faire face aux violences intrafamiliales, les jeunes trans ne peuvent pourtant se tourner vers l’école : depuis la circulaire Blanquer, le respect du prénom d’usage y est soumis à l’accord des parents. Les élèves trans se retrouvent ainsi exposé·es aux insultes, discriminations, harcèlements et violences physiques.
A cela s’ajoutent les attaques à répétition contre l’école publique : rentrée 2023 chaotique, dégradation accélérée des conditions de travail du personnel éducatif, manque de moyens, ou encore, depuis plusieurs années, les mesures visant à policer les tenues vestimentaires des élèves. Dans un tel contexte, les trois séances annuelles obligatoires d’éducation à la sexualité sont loin d’être assurées et, quand elles le sont, le vécu des personnes trans est bien trop souvent oublié.
L’école se retrouve aussi particulièrement ciblée par l’extrême droite, qu’il s’agisse des «parents vigilants» en France ou des récentes mobilisations réactionnaires en Belgique contre les séances d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle. L’extrême droite cible particulièrement les jeunes trans en construisant de toutes pièces une panique morale autour des transitions des mineur·es, alors même que, pour les jeunes, la transition médicale reste très rare : en 2020, 294 mineur·es bénéficiaient de l’ALD 31 (affection longue durée dite «hors liste»), soit un taux de médicalisation de 0,8 % des mineur·es trans ou non-binaires.
A tous ces obstacles, s’ajoutent des enjeux spécifiques pour les jeunes personnes trans en situation de migration. Le départ du pays d’origine est bien souvent lié aux violences transphobes subies mais l’arrivée en France ne signifie pas pour autant la fin des difficultés. Les mesures répressives et xénophobes appliquées par le gouvernement actuel s’abattent également sur les jeunes trans : placement en centres d’accueil pour demandeurs d’asile éloignés d’un accès aux soins adapté aux personnes trans, déportations, enfermement dans les centres de rétention administrative, manque de places en hébergements d’urgence. Ces politiques racistes rendent alors encore plus difficile l’accès à la santé et à un logement décent, conditions centrales pour envisager sereinement l’exploration de son genre et de sa sexualité.
Expulsé·es du foyer familial, maltraité·es par le corps médical, réprimé·es par les politiques anti-migratoires, agressé·es dans la rue, discriminé·es et harcelé·es sur leur lieu d’étude et de travail, les jeunes adultes trans se retrouvent particulièrement exposé·es à la précarité. Près de 64 % des 18-30 ans déclarent un revenu inférieur au seuil de pauvreté (1). Cette situation pousse nombre d’entre elle·eux vers des formes d’économie de survie, les exposant à la stigmatisation de leur activité, aux violences, aux contaminations, avec trop peu de recours dans le droit commun pour l’amélioration de leurs conditions de vie et de travail.
Face aux trop nombreuses personnes trans arrachées à la vie, nous nous devons de renforcer et d’élargir les luttes transféministes. Les combats pour l’émancipation des personnes trans s’inscrivent au sein des combats féministes, antiracistes, antivalidistes, anticapitalistes, syndicaux et antifascistes. Les luttes trans doivent être portées par l’ensemble des composantes du mouvement social et politique.
(1) Pour 382 personnes répondantes dans l’enquête sur les pratiques des injectrices d’oestrogène (Flirt, 2023).
Signataires : Ségolène Amiot Députée LFI, coprésidente du groupe d’étude discriminations et LGBTQI-phobies de l’Assemblée nationale Patrick Bloche Adjoint à la mairie de Paris, député honoraire co-auteur et rapporteur du Pacs Dylan Boutiflat Secretaire national du Parti socialiste en charge des relations internationales Andy Kerbrat Député LFI Bastien Lachaud Député LFI Danièle Obono Députée LFI Sébastien Peytavie Député Génération*s Anne Souyris Sénatrice écologiste de Paris Céline Verzeletti Secrétaire confédérale CGT Mélanie Vogel Sénatrice Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) et #NousToutes, Acceptess-T, LDH (Ligue des droits de l’Homme), Flirt – Front Transfem15, La France insoumise (LFI), Génération*s , Inter-LGBT18, Nouveau Parti anticapitaliste (NPA), le Planning familial et Union syndicale Solidaires.
Liste complète : https://toutesdesfemmes.fr/tribune-luttons-en-memoire-des-jeunes-trans/