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Publié par LDH49

Les engagements de la Commission européenne à défendre l’Etat de droit nécessitent de passer des paroles aux actes !

Analyse du 3e rapport annuel de la Commission européenne sur l’Etat de droit, faite par le Forum civique européen (FCE) dont la LDH est membre

Le 13 juillet 2022, la Commission européenne a publié son troisième rapport annuel qui passe en revue le cadre général et les évènement ayant affecté l’Etat de droit en 2021 dans 27 Etats membres. Le Forum civique européen (FCE) a contribué à la consultation organisée par la Commission, présentant des exemples concrets quant à la façon dont la société civile renforce l’effectivité de l’Etat de droit et en défend le fonctionnement. Pour une quinzaine de pays, notre contribution a mis en lumière les développements positifs et négatifs qui participent à un environnement favorable à l’action de la société civile.

Nous avons fait des recommandations concrètes pour renforcer le processus d’évaluation et le suivi des manquements. Nos préoccupations et nos demandes exprimées également en partenariat avec d’autres acteurs civiques et des universitaires. Ces recommandations restent urgentes et pertinentes car le rapport 2022 présente toujours des faiblesses d’analyse déjà soulignée précédemment, en particulier l’absence d’éléments pertinents de contexte et un langage utilisé qui reste régulièrement insuffisamment précis. La Commission européenne ne prend pas en compte l’effet paralysant que peuvent avoir des lois restrictives et autres mesures répressives à l’encontre des acteurs civiques, même lorsqu’elles ne sont pas mises en œuvre.

Malgré quelques améliorations quant au champ couvert et en terme d’analyse (comme par exemple pour la prise en compte des arrêts de la Cour européenne de justice), le rapport n’est toujours pas un outil mature. Le Forum civique européen reste déterminé à interagir avec la Commission pour renforcer cet outil.

La Commission européenne doit être plus cohérente et plus pertinente pour la protection des Traités, et pas seulement pour ce qui relève du fonctionnement du marché unique

Les limites de l’examen fait de l’Etat de droit apparaissent sans doute le mieux dans un paragraphe es conclusions du rapport : “L’Etat de droit est fondamental pour bénéficier d’un environnement politique, économique et social stable, résilient, équitable et démocratique dans l’ensemble de l’UE. Il est essentiel au bon fonctionnement du marché unique et de l’Union dans son ensemble. Il est également le reflet des aspirations et des valeurs des Européens consacrées par l’article 2 du Traité. La Commission s’est engagée à protéger et à promouvoir l’État de droit, en tant que garante des traités de l’UE et de la primauté du droit communautaire…“
En effet, la Commission européenne considère l’Etat de droit d’abord au prisme du “bon fonctionnement du marché unique“, comme l’exprime chacun des rapports annuels. S’en tenant aux responsabilités opérationnelles échues à la Commission de par le Traité, cette approche constitue l’armature de toutes les actions entreprises par la Commission européenne dans le domaine de la démocratie et des droits fondamentaux. Cette approche est également illustrée par le nombre de procédures d’infraction dans le domaine du marché intérieur, qui reste dominant au cours de la dernière décennie au regard de tous les autres domaines d’action.
Pour l’examen annuel de l’Etat de droit, si la Commission européenne veut être pertinente dans ses analyses et ses recommandations, ce champ limité n’est ni pertinent, ni cohérent. L’Etat de droit ne peut être traité par une approche “à la découpe”, par exemple en se concentrant sur les éléments qui affectent directement le fonctionnement du marché unique comme pour avec la corruption et l’indépendance de la justice, et en traitant superficiellement les domaines couverts par l’article 2 du Traité. Comme pour le sujet des droits de l’Homme, les composantes de l’Etat de droit sont interdépendantes et indivisibles : l’écosystème de l’Etat de droit doit être considéré comme un tout, toute carence ou violation dans un domaine est préjudiciable à l’écosystème global, avec un impact sur la démocratie au sens large. On ne doit pas se trouver dans une situation où, par exemple, seule une poignée de recommandations traitent des atteintes à la situation des organisations de la société civile.
À ce jour, le rapport ne traite pas réellement en substance des “aspirations des Européens” à l’Etat de droit au prisme des lacunes et violations effectives. Pour ce faire, il faudrait que la Commission européenne soit plus cohérente dans son rôle de gardienne des traités et prenne les mesures nécessaires pour protéger et renforcer le fonctionnement de nos démocraties autant que les règles du marché intérieur.

 

Actions concrètes et mise en œuvre effective seront les marqueurs de la réussite de l’exercice

Au-delà de la limite résultant du champ couvert par l’analyse et les recommandations, le succès de l’exercice “Etat de droit” réside dans l’engagement à passer des constations aux actions rapides et efficaces, comme l’exigent la diversité et la gravité des défis affectant l’Etat de droit et la démocratie en Europe aujourd’hui (dont certains sont bien décrits). Sans un suivi réel, l’exercice sera sans intérêt. Ainsi, parmi les choses positives, nous nous félicitons de la saisine de la Cour de justice des communautés européennes par la Commission européenne à l’encontre de la Hongrie pour ses actions violant les droits des LGBTI+ et la liberté des médias, un bon exemple de ce que nous attendons.

Pour la première fois, l’examen de l’Etat de droit comprend des recommandations spécifiques à chaque pays. Il s’agit d’une avancée bienvenue. Cependant, les recommandations sont le plus souvent exprimées en termes vagues, sans critères clairs qui traduirait des améliorations ni mécanismes de mise en œuvre. Cela porte le risque de ne pas contrôler leur mise en œuvre. Les recommandations concernant les organisations de la société civile en Hongrie et en Pologne en sont des exemples emblématiques. Alors que les rapports nationaux dépeignent un tableau sombre pour la société civile, les recommandations appellent les gouvernements à “supprimer les obstacles” et à “améliorer le cadre” sans avancer aucune mesure spécifique que les autorités nationales devraient prendre pour corriger la situation. Les formulations de la Commission européenne consistent à faire l’éloge de processus de réformes qui sont annoncées avec le risque que cela soit contre-productif si ces réformes ne sont que cosmétiques et mal appliquées. Si l’annonce de processus de réforme peuvent être porteuses, ce sont des recommandations qui devraient apporter un soutien significatif à tous ceux qui les défendent véritablement.

Les recommandations communes portées par la société civile européenne pour que soit établi un lien explicite entre le rapport annuel et la boîte à outils de l’Etat de droit restent plus actuelles que jamais. Il est crucial que les décisions sur la conditionnalité des financements européens soient basées sur les conclusions des rapports par pays et que toute décision de débourser des fonds européens à la Hongrie et à la Pologne soit conditionnée à la mise en œuvre de politiques qui répondent à toutes les préoccupations soulevées dans le rapport. En outre, la Commission européenne doit identifier et mettre en œuvre sans délai des mécanismes permettant d’attribuer les fonds directement vers la société civile et les journalistes qui sont victimes de la détérioration de l’état de droit résultant de la politisation partisane introduite dans la distribution des fonds, comme le corrobore le rapport de la Commission européenne.

Renforcer et protéger la société civile par une stratégie globale

Dans la communication de la Commission européenne, ainsi que lors de la conférence de presse, la vice-présidente de la Commission européenne Věra Jourová et le commissaire à la justice Didier Reynders ont souligné la contribution fondamentale de la société civile au fonctionnement de l’État de droit au niveau national et européen. Nous nous félicitons aussi que le rapport souligne l’importance de la mobilisation de la société civile dans le contexte de la crise humanitaire qui fait suite à l’invasion russe de l’Ukraine.

Le rapport reconnaît que dans certains Etats membres, les acteurs civiques sont “confrontés à de sérieux défis” tels que des restrictions d’accès au financement et des menaces physiques et verbales, confirmant certaines des tendances mises en évidence par le Forum civique européen, ses membres et ses partenaires dans leur contribution à la consultation. Ces constatations faites, il est donc crucial que la Commission européenne y réponde par des mesures complètes.

À ce jour, si l’Union européenne a lancé plusieurs initiatives prometteuses, qui sont mentionnées dans le rapport, elles n’apportent que des réponses fragmentaires à certains des problèmes les plus urgents auxquels les OSC sont confrontées, souvent avec d’importantes lacunes qui nuisent à leur efficacité. Par exemple, le rapport sur l’état de droit mentionne le programme “Citoyens, égalité, droits et valeurs” (CERV). Mais la lourdeur de la charge administrative avec les rapports de gestion à produire, combinée à la condition de cofinancements élevés et de montants irréalistes en matière de coûts unitaires, constituent un obstacle à la réalisation des objectifs affichés pour CERV.

Nous nous félicitons que le rapport mentionne l’engagement de la Commission européenne à accroître l’implication de la société civile au niveau européen, y compris dans son travail sur l’Etat de droit. Nous espérons que cela résulte de la mise en place d’un cadre formalisé et de modalités pertinentes intégrant les meilleures pratiques existantes avec les institutions de l’UE, d’un accord interinstitutionnel établissant un statut pour la participation de la société civile sur les questions horizontales et de programmation. Nous restons à disposition pour discuter de la manière dont cela pourrait se faire.

L’implication de la société civile au niveau européen devrait faire partie d’une approche globale renforçant et protégeant la société civile au-delà des actions ad-hoc. Pour cette raison, comme le demandent plus de 300 organisations de la société civile de toute l’Europe, nous continuons d’exhorter la Commission européenne à prendre des mesures en faveur d’une stratégie européenne globale pour la société civile qui comble les lacunes et les incohérences de l’approche de l’UE vis-à-vis de la société civile.

Nous sommes disponibles pour soutenir !

Ayant à l’esprit tous les défis décrits ci-dessus, le Forum civique européen s’engage à soutenir la Commission européenne pour le renforcement du mécanisme européen de l’Etat de droit et pour assurer son succès.

Nous travaillerons avec nos membres et partenaires sur le terrain pour engager des dialogues avec les autorités nationales et européennes sur les conclusions du rapport et pour suivre la mise en œuvre des recommandations par les autorités publiques, en particulier pour les dialogues nationaux pilotes qu’organisera la Commission européenne avec le soutien de l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne, cela pour en renforcer l’impact réel.

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