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Publié par LDH

Intervention le 23 juin 2021 de Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH, devant la Commission d'enquête sur les migrations, les déplacements de populations et les conditions de vie et d'accès au droit des migrants, réfugiés et apatrides en regard des engagements nationaux, européens et internationaux et internationaux de la France (Assemblée nationale)

 

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I - De quoi parlons-nous ?

La Commission d’enquête s’appelle : « migrations, déplacements de population, conditions de vie et d’accès au droit des migrants ». C’est une appellation qui nous parle au vu de la nécessité de s’interroger sur la réalité des questions migratoires dans son contexte global.

Il est important de rappeler ce que signifie le mot migrant au sens généralement utilisé par l’ONU notamment quand elle parle de migrant international, soit une personne qui vit durablement (a priori au moins un an) dans un pays qui n’est pas son pays de naissance.

Au sein de l’Union européenne (UE)

• 27, 30 millions de personnes sont nés hors UE ; 

• 15 millions dans un autre État de l’UE que celui dont ils ont la nationalité.

Tous sont des migrants et surtout des migrantes ; la majorité étant des femmes.

Chaque année, 3 millions de nouveaux titres de résidence  sont délivrés dans l’UE dont 1,2 million sont liés à l’emploi et plus de 750 000 sont des titres liés à l’emploi délivrés à des Ukrainiens par la Pologne (Lire ICI) (

Mais en général quand on parle des migrants, ce n’est pas de ces personnes dont on parle mais seulement de celles qui ont besoin d’un visa pour venir jusqu’à nous, qui n’ont pas eu la chance de naître dans un État dans lequel les États européens délivrent facilement des visas, dans lesquels les États européens dont le nôtre ont délégué cette délivrance des visas à des structures privées et auxquelles les ressortissants de ces pays doivent payer le prix fort quelques fois plusieurs fois sans avoir de visas.

Le terme de « migrants » est devenu une sorte de mot valise, auquel est attaché un certain nombre de valeurs négatives qui alimente un discours à connotation raciste basé sur les chiffres les plus fantaisistes.

Lors de la crise de l’accueil de 2015/2016, on a parlé de plus d’un million de migrants arrivés en Europe, ce chiffre recouvrait essentiellement le nombre de personnes arrivées par la Turquie (850 000) dont les 2/ 3 étaient des Syriens et qui ont pour l’immense majorité d’entre eux obtenu le droit d’asile surtout en Allemagne. 

Mais le nombre de ces personnes, qui traversent la Méditerranée par des voies dites irrégulières au risque de leur vie, est rapidement revenu à ce qu’il était avant 2015. L’aggravation des politiques migratoires ne peut donc plus reposer sur cette justification et notre continent ne devrait pas rester le plus mortifère du monde pour les migrants.

On oublie de la même façon de rappeler sans cesse comme vient de le faire le HCR que 86 % des réfugiés dans le monde sont accueillis dans des pays proches de celui qu’ils ont été obligés de quitter et donc dans des pays pauvres.

II - Les priorités de la LDH en matière d’accès aux droits

Concernant la situation en France, nous devons d’abord déplorer un contexte législatif et juridique particulièrement mouvant, de plus en plus restrictif, dont l’application varie d’une autorité administrative à l’autre. 

La LDH souhaite insister sur trois axes :

A - Les droits de l’enfant et le respect de la convention internationale du même nom 

     1) Les parents étrangers d'enfant français 

Nombre de parents étrangers d’enfants français peinent à obtenir un titre de séjour alors qu’ils devraient pouvoir y accéder de plein droit même en cas d’entrée irrégulière sur le territoire.

La loi du 10 septembre 2018 a aggravé les choses en liant l'obtention de ce type de titres de séjour à des preuves de résidence stable sur le territoire au motif de lutter contre des reconnaissances frauduleuses de filiation notamment quand l’un des deux parents est français. Ce nouveau critère conduit à des demandes de preuves de prise en charge par le parent français, preuves souvent difficiles à apporter notamment quand c’est le père qui est français et qu’il se désintéresse de ses enfants. 

Nombre de mères étrangères d’enfants français se retrouvent en conséquence dans des conditions de grande vulnérabilité pesant bien évidemment sur leurs enfants, se voient souvent obligées de recourir à des moyens illégaux pour survivre et peuvent devenir facilement la proie de trafiquants.

Or, elles devraient être protégées dans l’intérêt de l’enfant et seules des circonstances exceptionnelles sur décision judiciaire et non préfectorale devraient les empêcher d’obtenir un titre de séjour.

     2) L’expulsion ou l’assignation à résidence d’un seul des deux parents

La non-séparation des parents de leurs enfants doit rester le principe de base et la séparation ne devrait pouvoir se faire qu’en cas de décision de justice de déchéance de l’autorité parentale.

     3) Les mesures d'enfermement et les assignations à résidence

Des enfants sont enfermés dans des centres de rétention au motif de ne pas les séparer de leurs parents et notamment de leur mère alors que l’UNICEF notamment ne cesse de rappeler que l’enfermement d’un enfant ne peut jamais se faire dans son intérêt.

Des familles sont confrontées à des impossibilités de se déplacer au-delà d’un certain périmètre ou à des obligations de pointage qui les empêchent de travailler ou de s’occuper correctement de leurs enfants, voire qui les obligent à vivre séparés alors même que les alternatives à l’enfermement dont font théoriquement parties les assignations à résidence ont un but inverse.

     4) Les MNA

Au-delà de la désinformation les concernant allant de chiffres fantaisistes de coût avancés à des fantasmes sur leur « dangerosité » systématique, la LDH souhaite pointer :

- La présomption de minorité conformément au droit international dans l’attente des décisions ad hoc notamment en cas de contestation des documents fournis par les jeunes ;

- La non-remise en cause de la minorité en cas de transfert dans un autre département ;

- La prise en charge automatique des jeunes durant les procédures de contestation ;

- L’amélioration des conditions d'évaluation de minorité (des taux de reconnaissance allant de 20% à 80%) en transmettant cette évaluation à des structures indépendantes des conseils départementaux ;

- L'application des recommandations de la circulaire Taubira du 31 mai 2013.

     5) Les jeunes majeurs   

Nombreux sont les jeunes mineurs étrangers qui, en demandant un titre de séjour au moment où ils arrivent à leur majorité, se voient délivrer une OQTF du fait de contestation par les préfectures de leur identité. Nombre de ces situations ont été largement médiatisées et mobilisent l’opinion quand ces jeunes ont largement démontré leur intégration, qu’ils soient en cours d'études, en apprentissage ou salarié.

L’identité de ces jeunes a été dans les faits reconnus par un juge des enfants. 

Cette contestation repose souvent sur la seule remise en cause des documents fournis par les pays d'origine (voir notamment le cas des jeunes Guinéens dont l’identité est systématiquement contestée du fait d’une note de la Paf en ce sens).

On ne devrait plus voir un jeune muni d'un passeport ou d'une carte consulaire être l'objet d'une OQTF au motif qu'il y a discussion sur son acte de naissance. 

Il faut sortir de ce système qui transforme des jeunes formés, intégrés en clandestins ou qui les renvoient dans leur pays d’origine alors qu’ils n’y ont le plus souvent plus d’attaches.

B - Le droit à l’asile 

     1) Le Règlement de Dublin 

L’application du règlement Dublin autrement dit l’obligation de demander l'asile dans le premier pays de l'Union européenne où l'on est entré ou dont on a obtenu un visa nous semble en lui-même nocif et contraire à toute notion de solidarité européenne. 

Sa conséquence pratique, hors cas d’expulsion dont le nombre reste relativement limité, est de condamner à l'errance et à la clandestinité, le plus souvent pendant 18 mois des personnes avant qu’elles puissent déposer une demande d'asile dans notre pays.

C’est d’autant plus vrai que la plupart des États dit de première entrée refuse les demandes du gouvernement français en ce sens notamment parce qu’ils ont sur leur territoire beaucoup plus de personnes étrangères arrivées de façon dite irrégulière que la France (Allemagne et Italie notamment).

     2) La notion de pays sûrs

La notion de pays sûrs en créant a priori un doute sur le bienfondé de la demande est contraire à l’esprit même de la Convention de Genève qui nécessite un examen particulier et à différentes conventions internationales ou européennes signées par la France.

Elle conduit à un examen accéléré de celle-ci au détriment des droits du requérant et le caractère suspensif du recours à la CNDA en cas de décision négative de l'Ofpra est en outre supprimé avec toutes les conséquences induites et notamment un risque d’expulsion alors même que la CNDA peut mettre en cause la décision initiale.

C’est très grave par exemple pour des pays où l'homosexualité est criminalisée comme le Sénégal, les droits des femmes loin d'être respectés dans les faits comme l'Albanie, des minorités victimes de persécutions comme l'Inde. 

On peut se réjouir de la récente décision du Conseil d’État en date du 2 juillet 2021 annulant la décision du conseil d’administration de l’Ofpra de maintenir sur la liste des pays d’origine dits « sûrs » le Bénin, le Ghana et le Sénégal (au Bénin, en raison des atteintes répétées à la démocratie et au Sénégal et au Ghana du fait de la pénalisation des relations homosexuelles). 

C - Le droit au séjour 

     1) La régularisation 

La LDH tient à réaffirmer sa position en faveur de la régularisation de toutes les personnes étrangères vivant sur notre territoire et regrette que la crise sanitaire qui a révélé entre autres la nécessité de main-d’œuvre étrangère dans certains secteurs n’ait pas permis une régularisation comme cela a été fait dans d’autres pays européens.

Outre le cadre législatif et juridique fluctuant déjà évoqué, nous constatons que même les textes existants sont de moins en moins bien appliqués. Tel est le cas notamment de la circulaire de novembre 2012 concernant les familles avec enfants qui n’ait même plus appliquée dans certaines préfectures alors que nombre d’associations avaient estimé à l’époque que les délais prévus par la circulaire étaient largement insuffisants (5 ans de présence, 3 ans de scolarisation) et qu’elle ne faisait que maintenir dans la précarité des familles et notamment des jeunes et des enfants dont l'essentiel de la vie était en France.

     2) Titre de séjour pour raisons médicales 

Depuis le passage de l’avis médical de l’ARS à des médecins relevant de l’OFII, et donc d’un organisme placé sous la tutelle du ministère de la santé à un organisme placé sous celui du ministre de l’Intérieur, des situations justifiant une carte maladie ou parents d'enfant malade, nous constatons une forte dégradation concernant la délivrance des titres notamment au regard de l’appréciation de la possibilité de suivre un traitement approprié eu égard à l’offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays d’origine.

     3) Dématérialisation 

Aujourd’hui, la situation globale la plus grave réside dans la dématérialisation des procédures qui prive nombre d’étrangers de titres y compris de renouvellement faute de pouvoir accéder à un rendez-vous en préfecture dans les délais. Sur recours de plusieurs associations dont la LDH, le Conseil d’État a confirmé que la dématérialisation ne devait jamais être le seul moyen d’accéder à une procédure. La situation cependant ne cesse de s’aggraver dans les préfectures notamment depuis le début de la crise sanitaire. 

Par exemple, un homme de nationalité ivoirienne, en situation régulière, devait renouveler son titre de séjour avant fin juin et avait un CDD expirant lui aussi fin juin. Il a tenté depuis le début du mois d’avril d’obtenir un rendez-vous via la procédure en ligne. Neuf fois sur dix, lors de ses tentatives, le formulaire de prise de rendez-vous affichait une phrase que tous les étrangers de France connaissent par cœur : « Il n'existe plus de plage horaire libre pour votre demande de rendez-vous. Veuillez recommencer ultérieurement ». Le premier créneau horaire qui lui a finalement été proposé était fin août. Il s’est donc retrouvé dans l’impossibilité de renouveler son contrat de travail, de s’inscrire à Pôle Emploi ou de faire valoir ses droits sociaux puisque toutes ces situations sont conditionnées par l’obtention d’un titre de séjour valide.

Ce type de situation de risque de rupture de droits, liée aux délais et la dématérialisation, est hélas très courant et dans nombre de préfectures, la démarche pour obtenir un rendez-vous est quasi impossible.

Dans certaines préfectures, un mode d’emploi de « contournement » de cette procédure a été communiqué aux étrangers ou aux associations les accompagnant leur recommandant d’utiliser la procédure nationale de demande de renouvellement pour avoir un « récépissé de jonction » qui n’existe pas dans la loi mais qui permet de demander aux organismes sociaux de ne pas couper les droits dans l’attente de la vraie procédure. 

Et quand les personnes concernées arrivent enfin à avoir un rendez-vous, elles sont souvent confrontées à des demandes arbitraires, incohérentes, voire illégales ou ubuesques pour le contenu de leur dossier ou/et des délais de remise du titre très importants. 

Ainsi, une préfecture a demandé à un jeune homme de produire une carte consulaire pour la délivrance de son titre de séjour et quand il est allé à son ambassade à Paris, il lui a été dit que la carte consulaire ne pouvait être délivrée que sur présentation de son titre de séjour… Il lui a fallu six mois de courriers et tractations pour arriver à débloquer la situation : six mois de période non-droit : sans possibilité de travailler, etc.

Autre exemple, une jeune fille mineure est arrivée, par regroupement familial, à 17 ans dans sa famille en situation régulière en France. La loi indique qu’elle peut bénéficier d’un titre de séjour dès son arrivée, ce qui lui permet de faire un apprentissage, etc. Quand elle a fait sa demande en préfecture, il lui a été dit qu’il valait mieux qu’elle attende d’être majeure. Au moment de ses 18 ans, elle a envoyé un dossier mais a dû en renvoyer un en décembre, puis en février, sans aucune réponse. Il y a deux ans maintenant que cette jeune devrait selon la loi pouvoir bénéficier d’un titre de plein droit et que ses demandes restent sans réponses et l’empêchent d’entreprendre une formation.

Et nous pourrions compléter encore et encore ces exemples.

Marie-Christine Vergiat

Vice-présidente de la LDH

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