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Publié par Frédéric FARAH, le Monde Diplomatique

Ci-dessous nous proposons à la lecture quelques pages de Frédéric FARAH, publiées ce mois-ci dans le Monde Diplomatique : une réflexion sur l’histoire et la réalité du libre-échange.

Des centaines d’accords de libre-échange régissent les relations commerciales unissant des pays ou des régions. Un tel enchevêtrement suggère a priori une diversité d’objectifs, une multiplicité de moyens. En réalité, ce patchwork de textes se caractérise par une ambition unique : l’ouverture généralisée de l’ensemble des marchés sur la base de conditions définies par les pays du Nord.

«Jestime que le libre-échange joue dans le monde moral le même rôle que le principe de gravitation dans l’Univers »,expliquait en 1846 le Britannique Richard Cobden, l’un des représentants de l’Anti-Corn Law League, une organisation luttant contre les taxes sur les céréales importées. Similaire à l’attraction entre les astres, la libre circulation des marchandises devait selon lui « rapprocher les hommes, les libérant des antagonismes de race, de croyance et de langue, avant de les réunir dans une paix éternelle ».

Pour éradiquer la guerre

Moins de vingt ans plus tard, l’évidence d’un lien entre commerce et paix échappera aux Paraguayens. Au nom du libre-échange, le Royaume-Uni convainc ses alliés locaux (Argentine, Brésil et Uruguay) d’envahir le petit pays qui se développait rapidement en protégeant son économie. Le conflit, dit de la Triple Alliance, décimera la population du Paraguay, dont neuf hommes sur dix seront fauchés – version latino-­américaine de l’épisode de la guerre de l’opium du début des années 1840 (lire « Opium et canons font plier la Chine »).

En dépit de tels accrocs, la croyance que le « doux commerce » garantirait la paix entre les hommes n’a jamais manqué de prophètes. Parmi les « quatorze points » que le président américain Woodrow Wilson (1913-1921) avance en 1918 pour construire un monde de prospérité et de paix après la première guerre mondiale, le libre-échange figure en bonne place. En 1948, Cordell Hull, secrétaire d’État du président Franklin Delano Roosevelt (1933-1945) et Prix Nobel de la paix en 1945, assure qu’« accroître les échanges commerciaux entre les nations (…) ferait beaucoup pour éradiquer la guerre ».

Au nom de la paix – et sous l’influence des États-Unis –, les dirigeants politiques occidentaux s’entendent pour redonner vie à un libre-échange malmené par la crise des années 1930 et la seconde guerre mondiale : le 30 octobre 1947, ils signent l’Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (GATT), visant une plus grande ouverture des économies. Une logique similaire préside à la construction européenne. En 1957, le traité de Rome instituant la Communauté économique européenne (ancêtre de l’Union européenne) se donne pour objectif la libre circulation des biens, des services, des capitaux et des hommes. En période de reconstruction, toutefois, le libéralisme n’est pas échevelé mais « intégré », selon l’expression du politiste John Ruggie : il s’accommode de politiques sociales, notamment de réduction du chômage et de croissance interne. Cela ne durera pas.

Derrière le Brésil, la Chine et l’Inde, les pays du Sud dénoncent un libéralisme à deux vitesses

Le dernier cycle de négociations du GATT, dit cycle de l’Uruguay, accouche de l’Organisation mondiale du commerce (OMC), le 1er janvier 1995. Mais les travaux de la nouveau-née s’embourbent et le processus de libéralisation se grippe.

Les pays riches souhaitent ouvrir tous les services (indépendamment de leur statut public ou privé) à la concurrence internationale en éliminant progressivement les spécificités locales ou nationales, à travers l’Accord général sur le commerce des services (AGCS). De leur côté, certains pays du Sud, comme le Brésil, la Chine et l’Inde, reprochent à l’OMC un libéralisme à deux vitesses : l’ouverture exigée dans le domaine des services (favorables aux entreprises du Nord) ne s’accompagne pas d’un mécanisme similaire dans le secteur agricole, où une forme de protectionnisme prévaut toujours aux États-Unis et en Europe, au détriment des productions du Sud.

La stratégie multilatérale de l’OMC (et de son ancêtre le GATT), dont les accords sont censés s’appliquer à l’ensemble des pays membres, en pâtit au profit d’une nouvelle, privilégiant les accords entre pays ou entre régions. Parmi ceux-ci, l’accord de partenariat transpacifique signé le 4 février 2016 entre les États-Unis et onze partenaires, mais également les projets de grand marché transatlantique (GMT, en anglais Tafta) et d’accord sur le commerce des services (ACS) (lire « Le grand marché transatlantique se fait justice lui-même »).

Frédéric Farah

Professeur de lycée en sciences économiques et sociales, chargé de cours à l’université Paris-I.
Coauteur de Tafta. L’accord du plus fort, 
Max Milo, 2014.

 

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