La France n’est pas une PlayStation
La politique gouvernementale se déploie à l’image de ces questionnaires informatiques parfaitement calibrés et dont la logique interne suppose qu’on y réponde en « renvoyant les paroles », selon les termes du Robert. Chaque question appelle une réponse, d’ailleurs contenue dans la question. Toute tentative de sauter une case, ou de lui en substituer une autre, plus ou moins alternative, suscite une sorte de mépris blasé, quand elle n’est pas vouée aux gémonies. Si l’incitation massive à l’écholalie est, au mieux, un style, elle ne peut s’élever à la hauteur d’une stratégie de gouvernement. En tout cas, pas d’une stratégie d’avenir. La méthode est d’ailleurs en train de toucher ses limites. Plus le chef de l’Etat peaufine son image de Président calme et serein, plus le pays s’électrise. « Libérer, protéger et unir », dit-il. On s’interroge : inconscience, maladresse ou provocation ? Qu’il s’agisse des territoires, du travail, de la politique fiscale, de la crise de l’accueil, de l’avenir de la fonction publique ou de celui de la jeunesse estudiantine, force est de constater que les réformes gouvernementales avancées au rythme d’une avalanche ne soulèvent pas l’enthousiasme.
Les expressions de ces désaccords pourraient simplement attester d’une bonne santé démocratique du pays, de ses institutions, de ses corps intermédiaires. Elles le pourraient si elles étaient accueillies pour ce qu’elles sont : des manifestations d’intérêt collectives qui replacent l’intérêt général au cœur d’un dialogue social, civil et politique efficace car respectueux. Un dialogue pétri de contradictions, difficile donc, mais incontournable si l’on souhaite mettre l’avenir en commun.
Au lieu de quoi le gouvernement Philippe donne le sentiment de chausser les funestes bottes d’Alain Juppé. Il brutalise systématiquement les termes du débat et ses acteurs et ce, dans tous les domaines. Les réfugiés ? Il fait la leçon aux intellectuels et aux associations, fustige leur tendresse humanitaire et les prie de circuler. L’accord passé sur Notre-Dame-des-Landes pour sortir de conflit ? Il le piétine par un déploiement de forces aussi disproportionné qu’inopportun. La protestation qui secoue le monde de la justice, dont une réforme menace d’éloigner encore plus les Français de l’accès à leurs droits ? Il la déboute. Les turbulences qui secouent un nombre chaque jour plus important de facultés contre son projet de sélection ? Il évacue. L’imposante grève unitaire des cheminots ? Ce n’est pas un sujet, nous assure le président de la République. Serait-ce un objet ? Sans doute, puisque le gouvernement assure qu’elle ne changera rien à rien, tandis que les députés de la majorité, malgré quelques inquiétudes timidement exprimées, votent comme un seul homme une réforme qui cabre le pays.
On pourrait se croire dans l’un de ces jeux vidéo, dont l’intérêt réside à déchaîner une capacité de feu maximale contre des aliens agressifs et étranges. A ce simple détail près que la France n’est pas une PlayStation. Que les colères qui s’expriment – qu’on les juge ou non légitimes – révèlent un formidable sentiment d’injustice sociale, d’inégalités, de rage et d’attente d’un horizon meilleur. La pédagogie, dont on croit comprendre que le gouvernement s’en tient au caractère répétitif, n’y suffira pas, surtout lorsqu’elle s’exerce sur un fond continu de rétraction des libertés civiles, de déploiements répressifs et de mesures d’interdictions restreignant la liberté de l’information.
Les conflits ne sont pas des problèmes : ils portent en eux des solutions. La plupart du temps il s’agit, certes, de solutions auxquelles le gouvernement refuse même de penser. C’est d’ailleurs leur fonction : contraindre à penser. Notre société doit donc les aborder sans craintes ni stigmatisations, par un dialogue et une négociation respectueuse et responsable. Cette nécessaire œuvre de patience ne relève ni de la faiblesse, ni du calcul machiavélique. En République, cela porte le beau nom de démocratie.
