Haut fonctionnaire originaire d’Angers, Jean Gaeremynck préside depuis 2009 l’organisme public qui examine les conditions d’accès des demandeurs d’asile au statut de réfugié. Né à Angers, où ses parents habitent toujours, Jean Gaeremynck préside aujourd’hui le conseil d’administration de l’OFPRA, l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’organisme public qui examine les conditions d’accès au statut de réfugié. Ce haut fonctionnaire est un personnage clé, et discret, sur la question très sensible des demandeurs d’asile.
À rebours de tout ce qu’on entend, les demandeurs d’asile sont peu nombreux en France, selon vous… Jean Gaeremynck : « C’est ça ! Contrairement à une opinion très répandue, l’augmentation du nombre des demandeurs d’asile est très limitée en France. En 2015, il y en a eu 75 000 ouvertures de dossier. En 2014, il y en avait 60 000. Il y a donc une augmentation, mais celle-ci est très modérée, surtout au regard de leur nombre dans l’Europe des 28, où l’on a compté 1 300 000 demandeurs d’asile en 2015. »
Où sont-ils donc, alors ? « En Allemagne, où ils étaient 800 000 l’an passé, en Hongrie (175 000), en Suède (160 000) ou en Italie (80 000). Il faut vraiment relativiser la situation de la France. En Europe, l’impact a d’abord été supporté par l’Allemagne. »
Comment expliquer ces chiffres ? « En réalité, les gens persécutés fuient toujours vers la proximité immédiate. Les Syriens ont d’abord fui vers la Turquie (ils y sont plus de 3 millions), vers le Liban (1 million), vers la Jordanie où la misère accueille la misère… Il est absolument faux de dire que la guerre jette sur les pays du Nord des millions de personne. Les réfugiés ne prennent pas de billets d’avion : ils se réfugient au plus vite et là où ils peuvent. »
Et pourquoi si peu en France ? « Les gens en recherche d’asile savent très bien que les conditions d’accueil ne sont pas si extraordinaires que ça chez nous. Pour un demandeur d’asile, il est très difficile de travailler en France. En principe, la loi ne le permet pas. D’autres pays européens ont sur ce point des positions beaucoup plus souples que nous, notamment l’Allemagne qui a un gros besoin de travailleurs. Les migrants savent très bien qu’ils ont une possibilité beaucoup plus forte de travailler en Allemagne qu’en France. »
Comment expliquer les réactions de rejet, parfois violentes, qui se sont exprimées en France ? « Ces peurs s’expliquent : d’abord parce que la France est un pays fragilisé par ses problèmes sociaux, mais aussi parce que, depuis toujours, la question des réfugiés est du domaine de l’État. En France, la recherche des centres d’accueil est organisée et pilotée par l’État qui identifie les sites et conventionne l’accueil avec des associations. Les collectivités locales se sont très peu saisies de la question. Les Allemands, en revanche, ont une gestion par Länder, avec une répartition en fonction des capacités des collectivités et des équilibres démographiques. En France, le système avait plutôt bien fonctionné jusque-là, mais c’est devenu un problème lorsque les flux ont augmenté de manière importante. »
Mais vous dites qu’au final, ça se passe plutôt bien… « Je dis d’abord que les Français ne sont pas moins généreux que les Suédois et les Allemands. Pour les Français, la solidarité s’exprime notamment par un réseau associatif qui est dense et puissant. Il existe une vraie solidarité de proximité. Ce que je remarque aussi, c’est que ces phénomènes de peur et les protestations des habitants ont totalement disparu dès que les gens sont arrivés. Les peurs se sont dissipées parce que ça se passe correctement. Il n’y a pas de délinquance associée aux centres d’accueil des demandeurs d’asile. Alors, bien sûr, il faut être sensé et il ne faut pas se mentir. On ne peut pas dire que ce soit une forme d’immigration dénuée de tout risque. On peut très bien imaginer que Daech tente de toucher des personnes fragiles. On peut tout imaginer et les peurs ne sont pas à sous-estimer. Mais les faits sont là : il n’y a pas, à ce jour, de délinquance associée aux demandeurs d’asile. »
Après les événements qu’on a connus, ces peurs seraient illégitimes ? « Les faits sont là : qu’est-ce qu’on a à redouter quand les gens sont francophones, reconnaissants envers la France et soucieux de s’intégrer très vite ? Il faudrait qu’on ait une image plus juste de ces gens-là. Ce sont des personnes qui ont été très profondément maltraitées, mais leur capacité d’intégration est hallucinante ! L’Éducation nationale a conçu des programmes pour les enfants d’immigrés qui sont tout simplement excellents ! Le résultat, c’est que les gamins s’intègrent en flèche ! Il faut vraiment que les peurs cèdent devant la réalité des faits. »
Les temps de traitement des dossiers de demande d’asile sont souvent critiqués… « C’est vrai. Mais on fait de gros efforts pour s’adapter à l’augmentation des flux. Nous étions 412, employés à l’OFPRA en 2009 et nous serons 790 en 2017. La plupart sont des "officiers de protection". Leur travail est de traiter les dossiers des demandeurs d’asile et de mener les entretiens pour, au final, se faire une conviction et accorder ou non le statut. Ce sont des gens qui ont des parcours très variés. Certains officiers de protection font ça depuis très longtemps mais c’est un travail qui connaît une grande rotation. Écouter des récits de souffrance à longueur de journée est très éprouvant. »
Rien ne va mal ? Vraiment ? « Si ! On a une vraie difficulté, qui est la concentration des demandeurs d’asile en Seine-Saint-Denis. C’est dû à de multiples facteurs et notamment à l’impossibilité qu’ils ont de travailler. C’est pour cela qu’on multiplie les centres d’accueil en dehors de la région parisienne. » Entretien : Jean-Yves LIGNEL |