Les propositions de l’Union européenne relatives aux « pays sûrs » et au retour porteraient gravement atteinte à la protection et à la dignité humaine
Communiqué commune dont la LDH est signataire
Les récentes propositions de l’UE dans le domaine de la migration et de l’asile risquent de porter gravement atteinte à l’accès des personnes à des procédures d’asile équitables et complètes en Europe. Les initiatives récentes de la Commission européenne semblent être des éléments interconnectés d’une stratégie plus large visant à externaliser la gestion des migrations de l’Union européenne – il s’agit notamment de sa proposition de révision des règles de retour ou d’expulsion de l’UE présentée en mars 2025, de sa liste de « pays d’origine sûrs » d’avril 2025 et d’une révision du concept de « pays tiers sûr » en mai 2025. Avec ces mesures, l’UE semble chercher à transférer la responsabilité de la protection des réfugiés vers des pays situés en dehors de ses frontières et à contourner les obligations légales découlant de la Convention sur les réfugiés et de la législation européenne.
Liste des « pays d’origine sûrs » de l’Union européenne (UE)
La liste des « pays d’origine sûrs » proposée par l’UE considère comme sûrs certains pays dont 20 % ou moins des demandeurs se voient accorder une protection internationale dans l’UE. Toutefois, le fait que jusqu’à 20 % des demandeurs de protection internationale originaires de ces pays se voient reconnaître le statut de réfugié indique que ces lieux ne sont en fait pas sûrs pour tous. Malgré cela, la liste proposée par l’UE permet un traitement accéléré des demandes d’asile émanant de ressortissants (ou d’apatrides) de ces pays, en partant du principe que leurs demandes sont susceptibles d’être infondées.
Dans le cadre du droit de demander l’asile, toute personne qui demande une protection dans l’UE doit voir sa demande évaluée individuellement et sur la base de ses propres mérites, quel que soit l’endroit qu’elle fuit. L’application de la règle du « pays d’origine sûr » compromet l’évaluation individuelle des demandes d’asile et augmente le risque que les vulnérabilités individuelles et les besoins de protection ne soient pas pris en compte – y compris ceux des personnes ayant des besoins spécifiques ou appartenant à des communautés marginalisées – en permettant un traitement accéléré des demandes d’asile en partant du principe que ces demandes sont susceptibles d’être infondées. Les garanties procédurales sont également limitées dans ces procédures accélérées – ce qui signifie, par exemple, des délais raccourcis et un accès limité du demandeur d’asile à une assistance juridique et autre.
Les « pays d’origine sûrs » proposés sont l’Egypte, la Tunisie, le Bangladesh, la Colombie, l’Inde, le Kosovo et le Maroc, ainsi que, en principe, les pays candidats à l’adhésion à l’UE. Ceci est très préoccupant étant donné que l’exposé des motifs lui-même énumère les risques de violations des droits de l’Homme dans tous les pays énumérés dans la proposition de la Commission, allant de la violence généralisée fondée sur le sexe aux menaces graves auxquelles sont confrontés les défenseurs des droits de l’Homme. Comme l’ont noté les organisations de défense des droits de l’Homme, par exemple, les autorités tunisiennes ont intensifié la répression de l’opposition politique en 2024 en procédant à des arrestations massives, en emprisonnant des journalistes et en ciblant des groupes de la société civile. En Egypte, de nombreux opposants pacifiques et membres de minorités religieuses sont victimes de harcèlement et de longues détentions dans des conditions déplorables. La Colombie reste l’un des pays les plus dangereux au monde pour les personnes exposées à des violences ciblées, notamment de la part de groupes armés non étatiques. Les anciens combattants qui ont signé l’accord de paix, les défenseurs des droits de l’Homme, les dirigeants communautaires, les militants écologistes et les journalistes d’investigation font fréquemment l’objet de menaces, d’attaques, de persécutions et d’assassinats. En outre, les personnes LGBTIQ+ et les minorités ethniques, y compris les communautés afro-colombiennes et indigènes, sont victimes de discriminations, de violences et de déplacements forcés généralisés. Au Maroc, les journalistes, les activistes et ceux qui sont perçus comme des critiques du gouvernement sont victimes de harcèlement, d’arrestations et de détentions arbitraires et de procès inéquitables. D’autres groupes, tels que les militants sahraouis et les personnes LGBT+, sont également victimes de discrimination, de surveillance et de poursuites.
Cette liste de groupes vulnérables dans ces pays tiers n’est pas exhaustive, et les agences nationales d’asile des Etats membres de l’UE confirment que les personnes originaires de ces pays ont toujours besoin d’une protection internationale, car leur taux de reconnaissance n’a pas été réduit à zéro.
Elargissement du concept de « pays tiers sûr »
Une proposition législative distincte – la révision du concept de « pays tiers sûr » dans le règlement relatif aux procédures d’asile (qui a été introduit dans le cadre du pacte sur les migrations et l’asile et entre en vigueur en 2026) – vise à supprimer l’exigence actuelle d’un lien personnel entre le demandeur d’asile et un pays tiers où il est considéré qu’il aurait dû demander une protection en premier lieu. Actuellement, le règlement prévoit que les Etats membres ne peuvent éviter d’examiner une demande d’asile sur le fond que s’il peut être prouvé que le demandeur a un lien significatif avec un « pays tiers sûr ».
La nouvelle proposition de la Commission supprimerait effectivement ce critère obligatoire, ouvrant ainsi la voie à l’envoi de demandeurs d’asile vers un pays qu’ils n’ont que brièvement traversé, voire dans lequel ils n’ont jamais mis les pieds et avec lequel ils n’ont peut-être aucun lien. Le simple transit ou l’existence d’un accord ou d’un « arrangement » entre un Etat membre de l’UE et un pays tiers seraient considérés comme des motifs suffisants pour qu’un demandeur d’asile soit transféré vers un pays situé en dehors de l’UE.
La proposition de la Commission entraînerait également la suppression de l’effet suspensif automatique de l’appel dans ces cas. Par conséquent, les demandeurs d’asile pourraient être transférés de force vers un pays tiers avec lequel ils n’ont aucun lien avant que leur recours n’ait été examiné. Cela accroît le risque de refoulement (en chaîne) ou d’impossibilité pour les demandeurs d’asile d’exercer leurs droits conformément à la convention de 1951 sur les réfugiés et au droit international en matière de droits de l’homme. Le démantèlement de ce critère de connexion est apparemment destiné à accroître l’utilisation du concept de « pays tiers sûr » et à transférer davantage de responsabilités aux pays tiers. Cela contredit et nuit au fonctionnement du système d’asile de l’UE et au régime de protection mondial dans son ensemble.
L’externalisation en tant qu’objectif politique transversal
La liste de l’UE des « pays d’origine sûrs » et l’utilisation élargie proposée des règles relatives aux « pays tiers sûrs » sont clairement liées au système européen commun de retour récemment proposé. La proposition de règlement sur le retour de mars 2025 vise à rationaliser et à accélérer la procédure de retour des ressortissants de pays tiers qui se sont vu refuser l’autorisation de rester sur le territoire de l’UE. Il comprend un cadre juridique pour l’établissement de « centres de retour » dans les pays tiers, où les personnes faisant l’objet d’une décision finale de retour peuvent être envoyées de force et détenues, sur la base d’accords entre un Etat membre et un pays tiers. Les organisations humanitaires et de défense des droits de l’Homme ont prévenu que ces « centres de retour » risquaient d’entraîner des violations des droits de l’Homme, des détentions automatiques arbitraires et des refoulements directs et indirects. La proposition de retour élargit également considérablement le nombre de pays vers lesquels les retours peuvent être effectués, y compris vers les « pays tiers sûrs » susmentionnés.
Ces différentes propositions de la Commission, prises ensemble, reflètent la détermination de l’UE à externaliser davantage sa politique d’asile et de migration. Cela se fait au détriment des efforts visant à renforcer la capacité des systèmes d’asile nationaux, à offrir une protection et à accueillir les personnes dans la dignité et le respect. L’approche actuelle de l’UE porte atteinte aux droits des demandeurs d’asile et des migrants et fait peser des responsabilités excessives sur les pays tiers, dont certains accueillent déjà d’importantes communautés de réfugiés et de migrants.
Aucune leçon n’a été tirée des accords migratoires conclus avec des pays tiers, souvent peu respectueux des droits de l’homme, qui se sont révélés coûteux, cruels et contre-productifs, comme ceux conclus avec la Turquie, la Libye, la Tunisie ou l’Egypte. Le fait de compter sur les pays tiers pour assumer les obligations de protection de l’Europe rend cette dernière dépendante des États non membres de l’UE, ce qui permet aux pays tiers de tirer parti de l’immigration en fonction de leur propre agenda politique.
L’incapacité de l’UE à contrôler et à faire respecter efficacement les droits de l’homme dans le cadre de partenariats avec des pays tiers est devenue de plus en plus évidente, à mesure que les rapports de violations continuent de s’accumuler. En se dédouanant ainsi de ses responsabilités, l’UE a exposé des milliers de personnes à la violence, aux abus, à l’exploitation et à la mort. Au lieu de promouvoir la solidarité, ces politiques semblent marquer un recul par rapport à l’engagement de l’Europe en matière d’asile et risquent de contribuer à une érosion inquiétante de la protection des réfugiés au niveau mondial.
Les organisations soussignées appellent la Commission européenne, le Parlement européen, le Conseil et les Etats membres au niveau national à respecter leurs obligations en vertu du droit européen et international et à rejeter fermement toute tentative d’affaiblir la protection des demandeurs d’asile aux frontières de l’UE et à l’intérieur de celles-ci, ainsi que dans le cadre de la coopération avec les pays tiers en matière d’asile et de migration.
Signataires : International Rescue Committee, Danish Refugee Council, Amnesty International, ILGA-Europe, Center for legal aid – Voice in Bulgaria, Irídia – Centre per la defensa dels drets humans, ActionAid International, Migration Consortium, Fenix Humanitarian Legal Aid, Defense for Children In. Greece (DCI – Greece), ARSIS – Association for the Social Support of Youth, Mobile Info Team, EmpowerVan, WeMove Europe, Collective Aid, Network for Children’s Rights, Caritas Europa, Equal Legal Aid, Greek Forum of Refugees, Salud por Derecho, ARCI APS, Equinox Initiative for Racial Justice, Brussels Platform Armoede, FAIRWORK Belgium, CSC, Legal Centre Lesvos, CNCD-11.11.11, QCEA, Centre Avec, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, Greek Council for Refugees (GCR), CIRÉ, Caritas International, Vluchtelingenwerk Vlaanderen vzw, I Have Rights, Boat Refugee Foundation, Belgium/regional, LDH (Ligue des droits de l’Homme), PICUM, Médecins du Monde, Safe Place Greece / International, Stichting Vluchteling, 11.11.11, The Swedish Network of Refugee Support Groups., Churches´Commission for Migrants in Europe (CCME), Brot für die Welt, Quaker Council for European Affairs, Progetto Sud ETS, Jesuit Refugee Service (JRS) Europe, SOLIDAR, Swedish Refugee Law Center, Human Rights Watch
Le 1er juillet 2025