Pourquoi une demande de reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le recours à la torture lors de la guerre d’Algérie ?
Depuis la guerre d’Algérie, pendant laquelle des crimes indignes ont été commis sous la responsabilité des plus hautes autorités françaises, et jusqu’à la période récente, des voix se sont élevées, de manière récurrente, pour réclamer que l’Etat français reconnaisse ses responsabilités dans le recours systématique à la torture durant la répression coloniale.
Ces exigences ont été réitérées par différentes associations et personnalités françaises. En 2000, une lettre adressée au président de la République par douze personnalités appelait « dans un esprit tourné vers un rapprochement des personnes et des communautés et non vers l’exacerbation de leurs antagonismes /…/ à condamner ces pratiques par une déclaration publique » et invitait « les témoins, les citoyens à s’exprimer sur cette question qui met en jeu leur humanité ».
Le président de la République Emmanuel Macron a reconnu, en septembre 2018, l’assassinat de Maurice Audin à Alger en juin 1957 par les militaires français qui le détenaient, il a reconnu en mars 2021 l’assassinat de l’avocat Ali Boumendjel lors de sa détention et il a reconnu dans le communiqué de l’Elysée du 18 octobre 2022 qu’il s’agissait d’un système fondé sur la pratique de la torture : « Nous reconnaissons avec lucidité que dans cette guerre il en est qui, mandatés par le gouvernement pour la gagner à tout prix, se sont placés hors la République. Cette minorité de combattants a répandu la terreur, perpétré la torture, envers et contre toutes les valeurs d’une République fondée sur la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen. ».
Ce sont des déclarations que nous saluons.
Cependant, les associations signataires de « l’Appel pour la reconnaissance de la responsabilité de l’Etat dans le recours à la torture durant la guerre d’Algérie » rendu public le 4 mars 2024, dont la liste figure ci-dessous, estiment qu’elles ne suffisent pas. Il n’a pas été répondu à la question posée en 1962 par l’historien Pierre Vidal-Naquet : « Comment déterminer le rôle, dans l’Etat futur, de la magistrature ou de l’armée ou de la police si nous ne savons pas d’abord comment l’État, en tant que tel, s’est comporté devant les problèmes posés par la répression de l’insurrection algérienne, comment il a été informé par ceux dont c’était la mission de l’informer, comment il a réagi en présence de ces informations, comment il a informé à son tour les citoyens ? »
La reconnaissance de la torture par l’Elysée n’explique pas les dysfonctionnements de l’Etat et de ses institutions militaires, administratives et judiciaires qui ont permis que la théorie de la « guerre contre-révolutionnaire » ait été mise en œuvre. Ni que les « DOP » pratiquant la torture aient été créés au sein de l’armée française, ni que ceux qui l’ont pratiquée aient été promus et décorés alors que ceux qui l’ont dénoncée ont été poursuivis et emprisonnés, ni que des milliers de familles de disparus n’ont jamais reçu de réponse des autorités à leurs demandes, ni que des décrets ont autorisé la censure et la saisie des périodiques et des livres rapportant des faits dans leur vérité.
Les associations signataires du présent Appel, rendu public le 4 mars 2024 et dont la liste figure ci-dessous réaffirment qu’une reconnaissance officielle et historique permettrait d’ouvrir la voie à une compréhension du fonctionnement et des logiques de l’Etat durant une colonisation et une guerre pendant lesquelles la République a contredit les principes dont elle se réclamait. Cette reconnaissance est également indispensable pour notre présent et notre avenir, car, sans un retour sur cette page sombre de son histoire, rien ne préserve la République française de retomber dans les mêmes dérives.
Premières organisations signataires : Agir contre le colonialisme aujourd’hui (ACCA), Anciens appelés en Algérie et leurs Amis Contre la Guerre (4ACG), Association Française d’Amitié et de Solidarité avec les Peuples d’Afrique (AFASPA), Association Josette & Maurice Audin (AJMA), Association Nationale des Pieds Noirs Progressistes et leurs Amis (ANPNPA), Association 17 Octobre contre l’oubli, Association Les Oranges, Association pour la Taxation des opérations financières et pour l’Action Citoyenne (ATTAC), Association RépublicAine des Combattants pour l’amitié, la solidarité, la mémoire, l’antifascisme et la paix (ARAC), Au nom de la mémoire, Comité Vérité Justice Charonne, Forum France-Algérie, France-Amérique Latine (FAL), Histoire coloniale et postcoloniale, Les Amis de Max Marchand, de Mouloud Feraoun et de leurs compagnons, LDH (Ligue de droits de l’Homme), Mouvement de l’Objection de Conscience (MOC-Nancy), Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples (MRAP), Mouvement de la Paix, Non au Service Nationale Universel, Réfractaires Non Violents à la guerre d’Algérie (RNVA), SOS Racisme.
Paris, le 4 mars 2023