Les salopes en ont marre !
Tribune signée par Patrrick Baudouin, président de la LDH, et Marie-Christine Vergiat, vice-présidente de la LDH
« Tous les jours, en toute impunité, des hommes humilient des femmes, les sexualisent, les dénigrent, les menacent, les font vivre dans la peur et l’insécurité constante. » À l’occasion de la sortie dans les cinémas en France du documentaire Je vous salue salope : la misogynie au temps du numérique, des personnalités, associations et collectifs demandent aux élu.es d’agir pour contrer le fléau de la cyberviolence faite aux femmes.
Le cas de Manon Lanza, influenceuse victime d’une déferlante d’injures sexistes lors d’un événement organisé par le streamer Squeezie et regardé en direct sur Twitch par plus de 1,3 millions de personnes le 9 septembre dernier, est un exemple parmi tant d’autres. Une misogynie plus virulente que jamais éclabousse nos écrans. Harcèlement, dénigrement, lynchage, sextorsion, diffusion de photographies intimes, menaces de viol ou de mort… Ces actes de violence, en France comme ailleurs dans le monde, restent pour la plupart impunis et constituent une réelle menace pour la liberté d’expression des femmes.
Selon The Economist Unit Institute, qui a mené une étude internationale en 2020, 85% des femmes subiraient de l’hostilité en ligne. La tendance est à la hausse, comme l’a clairement exprimé l’Organisation mondiale des Nations unies dans un rapport lancé l’an dernier sur les violences faites aux femmes.
Le collectif Féministes contre le cyberharcèlement, qui a mené une enquête nationale en 2022, évoque une situation d’urgence sanitaire et sociale. Les cyberviolences ont un effet dévastateur sur « la santé des victimes, mais également pour leur épanouissement relationnel, familial, scolaire et professionnel. Les conséquences peuvent être extrêmes : 14% des victimes déclarent avoir tenté de se suicider suite aux violences subies.»
En suivant dans leur quotidien quatre femmes cyberharcelées, le documentaire Je vous salue salope montre que la cyberviolence n’est pas virtuelle, mais bien réelle. Des femmes de tous âges et de tous horizons sont ciblées, menacées, atteintes : des politiciennes, comme l’Italienne Laura Boldrini, qui doit être accompagnée d’un garde du corps en permanence; des personnalités du web comme la comédienne française Marion Séclin, qui a reçu 40 000 menaces de viol et de mort, mais aussi une multitude de femmes anonymes. Elles ont toutes une chose en commun: leur vie se transforme en véritable cauchemar.
La recrudescence de cette haine des femmes en ligne s’inscrit dans une idéologie réactionnaire visant à faire reculer leurs droits. L’objectif des harceleurs est clair : museler les femmes et les pousser à se retirer de l’espace public.
Depuis qu’Internet existe, les femmes sont victimes de cyberviolence. Le phénomène s’est aggravé avec le développement des réseaux sociaux, et des scandales font régulièrement l’actualité, comme celui de la Ligue du LOL. Tous les jours, en toute impunité, des hommes humilient des femmes, les sexualisent, les dénigrent, les menacent, les font vivre dans la peur et l’insécurité constante.
En conséquence, de plus en plus de femmes s’autocensurent, se taisent et abandonnent leur droit de parole.
Allons-nous assister au recul des droits des femmes sans agir ? Les élu.e.s ont le devoir de prendre position et de s’engager à contrer ce problème endémique en luttant activement contre l’impunité des agresseurs et en se tenant debout face aux géants du web, qui engrangent des profits avec la propagation de la haine.
À l’Assemblée nationale, les député.e.s débattent actuellement sur le projet de loi « visant à sécuriser l’espace numérique » (SREN). Le manque de mesures visant à lutter contre les cyberviolences sexistes et sexuelles et l’absence de mesures de prévention témoignent du chemin qu’il reste à parcourir pour lutter efficacement contre ces violences et protéger les potentielles victimes. L’obligation des plateformes à retirer les contenus pornographiques divulgués sans le consentement de la victime sous 24 à 48h après un signalement, comme la mise en place d’une campagne de sensibilisation sur les cyberviolences sexistes et sexuelles à destination de mineur.e.s, des professionnel.les de l’Éducation nationale et des parents, sont tant de mesures nécessaires pour endiguer ce fléau.
Nous saluons l’entrée en vigueur, le 25 août dernier, de la législation sur les services numériques (Digital Services Act, DSA), qui est un pas dans la bonne direction pour mettre fin au Far-Web (Far West d’internet) et protéger les citoyen.ne.s des États membres de l’Union européenne. Mais cette loi concerne uniquement les plateformes qui ont plus de 45 millions d’utilisateurs par mois, ce qui exclut notamment Twitch, qui a déclaré avoir 31,7 millions d’utilisateurs actifs. Il semble fondamental d’élargir la portée de cette loi, et surtout, qu’elle soit systématiquement appliquée.
Car le problème demeure : la cyberviolence, encore aujourd’hui, est banalisée. Les plaintes des victimes, majoritairement, ne sont pas prises au sérieux. Nous devons sensibiliser tous les professionnel.les impliqués, y compris les membres de l’État, particulièrement les forces de l’ordre et les juristes.
En conséquence, nous demandons au Ministre de l’intérieur Gérald Darmanin qu’il s’engage à intégrer une formation obligatoire aux policier.ères sur les cyberviolences faites aux femmes.
Cette prise de conscience concerne toute la société. En cela, l’éducation est cruciale. En France, plusieurs associations et collectifs sonnent l’alarme: les élu.e.s doivent les inviter à la table décisionnelle pour dresser un plan d’action dans le milieu scolaire.
Nous demandons qu’un budget soit alloué par l’Éducation Nationale à la mise en place de cellules d’écoute dans toutes les écoles dédiées aux cyberviolences (formation des infirmières scolaires, CPE et corps enseignant).
Nous demandons le financement d’enquêtes, de statistiques, d’analyses dédiées aux cyberviolences faites aux femmes en France, menées bénévolement à ce jour par les associations.
Enfin, nous demandons la gratuité des soins pour les victimes de cyberviolences.
L’enjeu n’est rien de moins que la démocratie même. Il en va de notre capacité à vivre en société : donnons à toutes et tous la possibilité de participer à égalité à la vie politique et citoyenne.
Quand les droits des femmes sont menacés, il faut se lever.
Léa Clermont Dion, Guylaine Maroist et plus de 70 cosignataires :
Amnesty international, Conseil National des Femmes Françaises (CNFF), Clit Révolution, Fédération Nationale des Centres d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles (FNCIDFF), #jesuislà, L’Association Glenn Hoël, Les Effronté-es, Le Planning Familial, Les codes sur la table, association féministe d’éducation au droit, La LDH (Ligue des droits de l’Homme), Le mouvement Be Brave, L’Union Européenne des Femmes, Mr Mondialisation, Net Respect, Nous Toutes 06, Nous Toutes 78, Osez le féminisme 63, Stop aux Violences Obstétricales et Gynécologiques France, Stop Harcèlement de rue, StopFisha