Plutôt qu’aux locataires et squatteurs, attaquez-vous à la crise du logement !
Tribune collective publiée sur Libération signée par Patrick Baudouin, président de la LDH
Mesdames et Messieurs les députés du groupe “Renaissance” signataires de la proposition de loi n°360 « visant à protéger les logements contre l’occupation illicite »,
Être pauvre ou mal-logé ne constitue pas un crime !
Programmé pour la fin du mois de novembre, votre texte propose pourtant de durcir comme jamais la pénalisation des personnes « squattant » un logement vide ou un immeuble vacant, mais aussi des locataires en difficulté et menacés d’expulsion.
La loi permet déjà largement de protéger le domicile face au squat. 170 propriétaires en tout et pour tout, en 2021, ont sollicité l'intervention de la préfecture selon l'Observatoire des squats du gouvernement. Ils ont repris leur bien en quelques jours, utilisant la procédure d'évacuation administrative. Pourtant, vous proposez d'étendre les possibilités d’évacuer les squats sans décision de justice lorsqu’il s’agit d’un local totalement vide, parfois depuis des années, et de condamner les occupants à des peines allant jusqu’à trois années de prison et 45.000 euros d’amende.
En réalité, l’immense majorité des squatteurs occupent des immeubles vacants. C’est pourtant ceux-là que vous visez dans cette proposition de loi. Alors que la rue impacte gravement la santé et a tué au moins 700 personnes en 2021, faut-il vraiment punir d’une peine de prison ceux qui s’abritent, eux et leur famille, dans un immeuble entièrement vide depuis des années ? Personne ne squatte un logement par plaisir. En ce début de trêve hivernale, vous ne pouvez pas ignorer que le 115 refuse chaque soir un hébergement à plus de 6 000 personnes, dont 1 700 enfants, réalité sous-évaluée en raison des personnes découragées qui n'appellent même plus le 115. Sans compter que la situation est encore appelée à s’aggraver encore, après avoir ponctionné comme jamais les APL et le monde HLM.
De plus, vous vous attaquez aux locataires qui auraient pour seul tort de connaître une dette de loyer, même mineure : vous réduisez les délais de la procédure d’expulsion et surtout supprimant la possibilité pour le juge de leur offrir une seconde chance en les maintenant dans les lieux en échange du respect d’un échéancier de paiement.
Vous allez même jusqu’à inventer la pénalisation pure et simple des locataires avant la fin de la procédure d’expulsion, les condamnant à six mois de prison et 7.500 euros d’amende s’ils refusent de se jeter eux-mêmes à la rue après l’expiration des délais, et ce sans attendre le concours de la force publique. Mettrez-vous aussi en prison ces milliers de ménages prioritaires DALO que l’État tarde à reloger bien au-delà de ces délais ?
Ainsi, vous rejetez le rôle de contrôle et d’équité du juge et la compétence du préfet dans l’appréciation du risque à l’ordre public que constitue une expulsion sans relogement. Ces dispositions menacent des centaines de milliers de locataires en impayés, du fait de la hausse constante des loyers, des charges et du coût de la vie, de la baisse des APL et des revenus des locataires, de l’insuffisance de logements sociaux…
Cette attaque brutale, sans concertation, contre les protections dont bénéficient les locataires en difficulté surfe sur quelques faits divers, déformés et montés en épingle par certains médias. Justifient-ils une telle remise en cause des droits des locataires, et par voie de conséquence des dispositifs de prévention des expulsions établis depuis des décennies ?
Nous vous demandons donc de vous attaquer enfin à la crise historique du logement plutôt qu’aux locataires, ainsi qu’aux 3,1 millions de logements vacants recensés par l’INSEE plutôt qu’aux squatteurs.
Renoncez à cette proposition de loi précipitée, d’une grande brutalité sociale.