Lettre ouverte aux représentantes et représentants des états membres de l’assemblée générale d’interpol
Paris, le 25 Octobre 2021
Le Gulf Center for Human Rights (GCHR), la Ligue Française des droits de l’Homme et la Fédération internationale pour les droits humains s’inquiètent de la candidature du général major Ahmed Nasser Al Raisi à la présidence d’Interpol et vous appellent à rejeter cette dernière lors de la prochaine Assemblée générale de l’organisation les 23 et 24 novembre prochains à Lyon.
Ahmed Al-Raisi est, depuis 2015, inspecteur général du ministère de l’Intérieur des Émirats arabes unis (EAU) et est également en charge des services de police de la monarchie. Sous sa direction, ses services se sont rendus responsables de détentions arbitraires et d‘actes de torture répétés et systématiques infligés aux prisonniers d’opinion et défenseurs des droits humains, en toute impunité.
L’un des cas les plus emblématiques concerne le défenseur des droits humains Ahmed Mansour. Lauréat 2015 du prix Martin Ennals et membre du comité directeur du GCHR, Ahmed Mansour est emprisonné depuis mars 2017 et condamné à dix ans de prison en 2018 pour avoir, selon les autorités, critiqué le pouvoir émirati et terni l’image de son pays sur les réseaux sociaux. Depuis 2017, il est maintenu à l’isolement dans la prison d’Al-Sadr, dans une cellule de 4m2, sans accès à un médecin, à l’hygiène, à l’eau et aux installations sanitaires. Les conditions inhumaines de l’emprisonnement d’Ahmed Mansour ont fait l’objet de plusieurs interpellations de la part des signataires sans qu’une suite favorable soit donnée par les autorités émiraties.
D’après les rapports de plusieurs ONG, la torture est utilisée de manière systématique dans les centres de détention afin d’obtenir des aveux de culpabilité ou des témoignages contre d’autres détenus, notamment dans les prisons d’Al-Razeen, d’Al-Wathba et d’Al- Sadr. En outre, certaines prisons, comme la prison d’Al-Awair et le centre de détention de la police d’Al-Barsha, sont surpeuplées et insalubres, ce qui rend extrêmement difficile le respect de la distanciation sociale et des pratiques d’hygiène recommandées, dans un contexte de pandémie de COVID-19.
Parmi les méthodes utilisées par les fonctionnaires de police, figurent la privation de sommeil, le refus de traitement médical, les menaces verbales, les agressions sexuelles, l’arrachage des ongles, la torture à mort, les coups violents portés avec les mains ou des cannes, en particulier sur le visage, la tête et les yeux, les chocs électriques, la pendaison par les mains, l’arrachage des cheveux, le jet d’eau froide sur le corps du détenu devant un ventilateur, le placement du détenu dans un cercueil pendant de nombreuses heures, l’isolement dans des cellules extrêmement petites et sans fenêtre, la menace d’utiliser la chaise électrique, la privation de sommeil et les interrogatoires à des heures tardives, la privation d’accès à l’extérieur et à la lumière du soleil pendant plusieurs mois, l’obligation pour les détenus de se tenir sur une jambe pendant les interrogatoires, l’abandon des détenus au soleil pendant de longues périodes, le déshabillage des détenus, l’interdiction pour les détenus de pratiquer des rites religieux tels que le jeûne ou la prière du vendredi.
Les autorités pénitentiaires utilisent également l’isolement cellulaire comme mesure punitive, en plaçant les détenus dans des cellules étroites, chaudes et non ventilées. Le recours excessif à l’isolement cellulaire est considéré comme une forme de “torture blanche”, c’est-à-dire un abus visant à affaiblir les prisonniers en les rendant psychologiquement instables et pouvant entraîner dépression, insomnie, confusion, hallucinations et psychose. Parmi les autres formes de mauvais traitements infligés par le personnel pénitentiaire, citons le fait d’enchaîner les mains et les jambes des prisonniers par derrière pour leur infliger des douleurs et de les obliger à s’asseoir dans la cour de la prison en plein soleil. Les gardiens ont aussi délibérément installé des haut-parleurs dans les prisons, obligeant les prisonniers à écouter de la musique forte à toute heure du jour et de la nuit. Les prisonniers peuvent également être contraints de manger des aliments périmés ou de boire de l’eau salée.
En outre, les prisonniers se voient régulièrement refuser des médicaments et des traitements médicaux pour des problèmes de santé préexistants ou des maladies développées pendant la détention. Plusieurs experts des Nations unies ont condamné les pratiques et exprimé leurs inquiétudes aux autorités émiraties ces dernières années, sans que ces dernières ne changent de pratiques.
Ces traitements inhumains sont récurrents aux EAU et constituent des flagrantes contraventions au droit international et aux Règles Nelson Mandela sur le traitement des détenus. Alors que le général major Al-Raisi est, de par ses fonctions, responsable d’enquêter sur les plaintes déposées pour les abus des forces de police et de sécurité dans son pays, aucune n’a été instruite de manière probante. En l’absence de mécanismes de redevabilité filables aux EAU, le GCHR a, déposé en France une plainte pour actes de torture contre le général major Al-Raisi dans le cadre de la compétence universelle.
Nonobstant le soutien financier apporté par les EAU au fonctionnement d’Interpol, l’élection de ce candidat remettrait fortement en cause les valeurs fondamentales et constitutives sur lesquelles Interpol a été créée, notamment le respect des normes internationales de protection des droits de l’Homme, telles qu’explicitées dans l’article des statuts de l’organisation.