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Publié par LDH49

Construire la confiance – perspective sur le fameux article 24

C. Denis

Le mardi 24 novembre 2020, l’Assemblée nationale a adopté en première lecture la proposition de loi sur la sécurité globale. Celle-ci sera a priori examinée par le Sénat en janvier. Largement critiquée, son article 24 a été légèrement amendé.

Initialement, celui-ci réprimait pénalement « le fait de diffuser, par quelque moyen que ce soit et quel qu’en soit le support, dans le but qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique, l’image du visage ou tout autre élément d’identification d’un agent de la police nationale ou de la gendarmerie nationale autre que son numéro d’identification individuel lorsqu’il agit dans le cadre d’une opération de police ». A cela, il faudra désormais ajouter les notions suivantes : un but « manifeste » de malveillance par la diffusion des images, mais peut-on au moins souligner que cette répression pénale se réalisera « sans préjudice du droit d’informer ».

Le caractère attentatoire aux libertés publiques du texte a été souligné par la Ligue des droits de l’Homme, la défenseure des droits, Claire Hédon, RSF mais aussi des instances internationales tel que le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Saisi par la Ligue des droits de l’Homme, ce dernier affirmait le 16 novembre 2020 :

« L’information du public et la publication d’images et d’enregistrements relatifs à des interventions de police sont non seulement essentiels pour le respect du droit à l’information, mais elles sont en outre légitimes dans le cadre du contrôle démocratique des institutions publiques. »

Lorsqu’une loi de politique publique joue avec le droit d’informer, il ne faut pas seulement affirmer que : « on fera attention de ne pas y porter préjudice ». Non. Encore faut-il que l’opposition à ce droit soit claire et précise. Que l’on connaisse ce à quoi ce droit devra s’affronter. Qu’en est-il ici ? La protection des policiers lorsqu’il est « porté manifestement atteinte à son intégrité physique ou psychique ». Des termes bien généraux qui sous couverts de la bonne volonté de son interprète, donneront lieu à des condamnations, ou pas. Il est à noter que le président du tribunal judiciaire de Paris, Stéphane Noël, estime que l’article 24 sera « difficilement applicable ». La conciliation entre la protection des policiers et la liberté de la presse s’annonce donc passionnante et clivante…Elle s’inscrit aussi dans un contexte essentiel qu’il ne faut pas oublier : la France, pays des droits de l’Homme, est seulement le 34ème pays au monde en matière de protection de la presse (classement RSF 2020).

Et ailleurs, alors ? Que se passe-t-il ailleurs ?

Aux Etats-Unis, il est acquis que le premier amendement de la Constitution donne le droit aux citoyens de filmer les policiers lorsqu’ils réalisent une intervention. Le premier amendement dispose ainsi : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi ayant pour objet l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, de limiter la liberté de parole ou de presse, ou le droit des citoyens de s’assembler pacifiquement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour qu’il mette fin aux abus ». Ce droit est toutefois strictement limité aux interventions dans un espace public.

En Europe, en 2015, le gouvernement de Rajoy adopte la loi dite « loi bâillon » ou plus sérieusement, « loi organique de protection de la sécurité publique ». C’est son article 36.23 qui parait pertinent. Est ainsi une infraction grave : « l’usage non autorisé d’images ou d’informations personnelles ou professionnelles des autorités ou membres des forces et corps de sécurité qui pourrait mettre en danger la sécurité personnelle ou familiale des agents…avec respect au droit fondamental à l’information ». Déjà, la Ligue des droits de l’Homme, tout comme Amnesty International ou Human Rights Watch, avait alerté sur l’entrave faite à la documentation d’abus des forces de l’ordre et le renforcement de l’impunité dont celles-ci bénéficient.

Le 30 septembre 2020, le Congrès espagnol entame la procédure pour modifier cette loi et supprimer l’article 36.23. Derrière cette démarche, il y a bien évidemment la volonté de défendre la liberté d’expression et d’information.

Nous l’avons bien compris, cet article 24 oppose donc la liberté d’informer et la protection des policiers. Mais cela va plus loin encore. Il est question de protéger les policiers, mais à quel prix ? Certainement celui de la confiance des citoyens. Ainsi, dans une intervention du 21 octobre 2020, la commissaire européenne Ylva Johansson avait ces mots, justes « le maintien de l’ordre est une question de confiance. La confiance dans la société. La confiance dans notre capacité de protéger les citoyens. La confiance dans notre capacité de protéger tous les citoyens. »

Pourtant, cet article 24 renvoie un sentiment d’impunité de nos forces de l’ordre, l’image d’une mise à l’abri de celles-ci. Cette nouvelle invisibilité des forces de l’ordre élèvera un barrage supplémentaire avec les citoyens. Un barrage que ni les journalistes, "qui devront se signaler avant de couvrir une manifestation", ni les associations, ne pourront franchir. Dans un Etat de droit. Dans un Etat où la liberté d'information doit primer.

 

Sources :

https://dudaslegislativas.com/infracciones-y-sanciones-de-la-ley-de-seguridad-ciudadana/

https://ec.europa.eu/commission/commissioners/2019-2024/johansson/announcements/commissioner-johanssons-speech-police-brutality-european-parliament-plenary-session_en

https://edition.cnn.com/2020/11/24/europe/france-freedom-of-press-law-police-images-controversy-intl/index.html

https://www.eff.org/fr/deeplinks/2020/06/you-have-first-amendment-right-record-police

https://elderecho.com/congreso-da-primer-paso-modificar-la-ley-proteccion-la-seguridad-ciudadana

http://www.elmundo.es/espana/2015/07/01/559418d5268e3eb16d8b4582.html

https://www.elperiodico.com/es/politica/20161214/rajoy-control-gobierno-congreso-seguridad-ciudadana-mordaza-5688682

https://www.francetvinfo.fr/politique/proposition-de-loi-sur-la-securite-globale/loi-de-securite-globale-l-article-24-seradifficilement-applicable-estime-le-president-du-tribunal-judiciaire-de-paris_4193481.html

https://www.ladepeche.fr/2020/11/21/loi-securite-globale-nous-naccrediterons-pas-nos-journalistes-pour-couvrir-les-manifestations-9212920.php

https://www.ldh-france.org/loi-organique-protection-securite-publique-menace-les-libertes-publiques-en-espagne/

https://rsf.org/en/ranking

https://www.thinkspain.com/news-spain/31048/photographing-police-not-a-crime-unless-security-is-at-risk-government-clarifies

https://www.wnycstudios.org/podcasts/takeaway/segments/5-things-you-should-know-video-recording-police

 

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