Fait-il bon de vivre à Angers ?
Angers est connue pour ses procès de pédophilie, pour la "banane", et maintenant, pour ça !
Un bar associatif d’extrême droite embarrasse la municipalité d’Angers.
Article d'Yves Tréca-Durand (Angers, correspondant) publié le 31/05/2018 par Le Monde .fr
Plusieurs manifestations ont électrisé la ville depuis l’inauguration de l’Alvarium, en janvier, et la situation se tend avec les antifascistes.
Sur le fronton de l’immeuble proche du centre-ville, aucun nom n’apparaît. C’est bien là, pourtant, que se situe l’Alvarium, la ruche en latin, un local associatif. Pas besoin de panneau. Le mur rougi de tags signale le lieu aux passants. A l’intérieur de cet appartement ouvert depuis le 27 janvier aux « nationalistes », trois tonneaux posés à la verticale servent de tables. Et quelques livres alignés sur une bibliothèque donnent le ton. Jean-Marie Le Pen y côtoie Robert Brasillach, Roger Holeindre ou Alain Soral. Homère semble un peu perdu au milieu de ces figures de l’extrême droite française. Au mur, deux affiches prétendent réhabiliter Bachar Al-Assad et Saddam Hussein.
Jean-Eudes Gannat, ex-militant FN, fait office de porte-parole. « C’est un lieu de réunion pour des jeunes gens qui s’épuisaient à militer sans agir de manière réelle. » Lui et ses proches s’assument « nationalistes » mais refusent l’étiquette d’identitaires, même s’ils en partagent les opinions. A l’Alvarium, ils ne font pas que boire de la bière, assure-t-il, mais organisent des maraudes pour distribuer de la nourriture aux nécessiteux. Français exclusivement. « 99 % des SDF qui dorment dehors le sont, assure-t-il tranquillement. Les étrangers en situation irrégulière ont des centres d’hébergement tenus par des associations qui s’occupent exclusivement de migrants. Et ça, ça ne pose de problème à personne. »
Dans le collimateur
L’Alvarium compterait une centaine d’adhérents, mais la préfecture a déjà prévenu qu’il ne peut en accueillir plus de 19 en même temps, pour des raisons de sécurité. Les membres de l’association ont cherché à doubler la capacité d’accueil et à pouvoir y organiser des concerts, mais le préfet a confirmé, mardi 29 mai, qu’il ne donnerait pas de suite favorable à cette demande. Un signe que cette ruche d’extrême droite est dans le collimateur des autorités. Mais aussi dans le viseur des opposants.
Pour les « anti-fa », réunis au sein du réseau angevin antifascite et familiers de l’Etincelle, un lieu associatif fréquenté par l’extrême gauche, les « clients » de l’Alvarium « répandent la haine » et « ont des comportements racistes et violents ». Plusieurs bagarres entre « anti-fa » et « nationalistes » ont émaillé l’actualité. La plus récente a opposé une quinzaine de personnes le 5 mai et a nécessité l’intervention de la police. « Ça va mal finir », prédit une élue municipale.
Plusieurs manifestations ont électrisé la légendaire douceur angevine. Le 24 février, 400 personnes ont défilé devant la façade de l’Alvarium pour exiger sa fermeture. Une centaine d’opposants se sont réunis le 24 avril devant la porte du conseil municipal, obligeant le maire (ex-LR), Christophe Béchu, à une nouvelle mise au point. « La présence d’un établissement dans lequel un discours ou des accointances avec des idéologies extrémistes se développent est évidemment pour moi quelque chose d’insupportable, a-t-il affirmé avant de préciser : Ce type de lieu est en train de se développer à Lille, Lyon, Marseille ou Aix-en-Provence sans qu’aucune ville n’ait trouvé la parade. »
Pour le réseau angevin antifascite, la position du maire reste ambiguë. Sur Internet, certains de ses membres dénoncent la « pudibonderie homophobe »de celui-ci lorsqu’il avait fait retirer des affiches pour la prévention du VIH en novembre 2016, où l’on voyait des couples d’hommes s’enlacer, au prétexte que certains panneaux étaient situés aux abords des écoles. La ville a aussi été agitée récemment. En novembre 2013, lors d’une action de La Manif pour tous, une fillette avait tendu une banane à Christiane Taubira. En janvier, des têtes de sangliers ont été plantées sur les grilles de la mosquée. Et le 27 mars, lors d’une réunion dans la ville, un attelage regroupant le maire de Béziers, Robert Ménard, le président du Parti chrétien-démocrate, Jean-Frédéric Poisson, ou encore le conseiller régional du FN Pascal Gannat, a lancé « l’appel d’Angers » pour l’unité de la droite.
Lors du dernier conseil municipal lundi 28 mai, un vœu a par ailleurs été voté à l’unanimité. Sans citer l’Alvarium, les élus rappellent que « les valeurs portées par l’immense majorité des Angevins sont des valeurs de tolérance, de respect mutuel, d’accueil, de générosité et de partage » et condamnent « toute action ou organisation visant à établir un tri entre les êtres humains, à exclure, stigmatiser ».
Signe que la situation s’envenime, dans la nuit du 16 au 17 avril, le mot « facho » a été tagué sur les domiciles des membres de l’Alvarium et sur les murs du théâtre et du cimetière de Chazé-Henry, un village de l’Anjou rural où habite la famille de l’un d’entre eux. La même nuit, le mur d’enceinte de la propriété de Pascal Gannat, en Mayenne, était aussi souillé. L’ex-chef de file du FN au conseil régional, rétrogradé l’an dernier par Marine Le Pen, est le père de Jean-Eudes mais aussi de son cadet, François-Aubert. Ce dernier a été mis en cause et condamné deux fois pour des bagarres à caractère raciste, notamment à dix mois de prison avec sursis et 175 heures de travaux d’intérêt général pour des insultes racistes et des coups intervenus dans la nuit 21 au 22 octobre 2016, à Angers. Il fait appel. Il fréquente lui aussi l’Alvarium.
Pascal Gannat défend ses fils mais prend ses distances avec leur association : « Tout ça n’a rien à voir avec le Front national. Moi, je crois aux partis politiques et à l’action dans le cadre des institutions », affirme l’ancien directeur de cabinet de Jean-Marie Le Pen. Lui aussi a pourtant fait le coup de poing dans sa jeunesse. Il a fait partie du Groupe union défense (GUD) à la fin des années 1960 et ne s’en cache pas. Toutes ces histoires, dit-il, lui ont « beaucoup pourri la vie. Les chants nazis, le bras tendu, les insultes racistes, ça a été utilisé contre moi à l’intérieur du Front alors que ça ne correspond pas du tout à ce que nous sommes. C’est assez blessant de passer pour quelqu’un de bas et de bête ». Aujourd’hui, il dit mettre en garde sa progéniture : « J’ai toujours dit à mes enfants que ça n’avait pas mené à grand-chose. »