Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Archives

Publié par LDH49

« Loin du cœur, loin des yeux » est le titre d’un article d’analyse comparative sur l’information internationale, publié dans le Monde diplomatique de mars 2018

Parce qu’elle coûte cher et génère moins d’audience que les commérages sur la vie privée des vedettes, l’information internationale ne constitue pas une priorité pour les dirigeants éditoriaux. Certains pays géographiquement et culturellement proches bénéficient cependant d’une meilleure couverture que d’autres. Le traitement médiatique des attentats illustre cette dynamique d’une manière éclairante.

par Téo Cazenaves

Sur France Inter, le 1er novembre dernier, les auditeurs de la matinale ont pu vivre un moment radiophonique singulier. Dans sa chronique hebdomadaire, Nicole Ferroni a expliqué qu’on l’avait invitée à modifier son intervention — consacrée à l’origine au harcèlement sexuel — en raison des événements survenus le 31 octobre à New York : le conducteur d’un véhicule avait intentionnellement renversé plusieurs passants, faisant huit morts et douze blessés. Visiblement décontenancé, Nicolas Demorand réagit : « Vous découvrez, ma chère Nicole, que le réel nous rattrape parfois. » S’ensuit un silence gêné. « Il vaut mieux ne pas en parler, c’est ça, si je comprends bien la morale de la chronique ? », poursuit-il. L’humoriste explique qu’elle questionnait « la portée du fait d’en parler aussi souvent ».L’animateur de la deuxième matinale la plus écoutée de France conclut par ces mots : « Merci. Aussi souvent malheureusement qu’il y a des attentats, mais on le fait en essayant de réfléchir, aussi. »

La fin des correspondants permanents

Cette même semaine, les journaux de 8 heures de France Inter ont consacré six minutes et vingt-cinq secondes à l’attentat de Manhattan. Deux semaines plus tôt, celui de Mogadiscio, attaque terroriste la plus meurtrière de l’histoire africaine avec 512 morts (1), n’avait eu droit qu’à une brève de vingt et une secondes dans les journaux de 8 heures de la première radio du service public, soit dix-huit fois moins. Entre le 18 et le 24 août 2017, enfin, les attaques de Barcelone et de Cambrils — seize morts —, revendiquées par l’Organisation de l’État islamique, avaient été évoquées dans les mêmes journaux durant vingt-quatre minutes et cinquante-trois secondes, soit soixante et onze fois plus que pour Mogadiscio. Ces trois attentats survenus dans un court laps de temps en des points divers du globe offrent un bon exemple de l’importance très variable accordée par les journalistes à ce type d’événement.

À l’exception notable de Radio France Internationale (RFI), l’ensemble des médias étudiés pour produire l’infographie ci-contre ont réservé aux attentats catalans un traitement quantitatif très nettement supérieur à celui accordé au massacre de Mogadiscio. Ainsi, TF1 a ouvert six fois les titres de son journal de 20 heures avec ces événements, auxquels la chaîne a consacré une heure, une minute et dix-sept secondes entre le 17 et le 23 août. Mais, entre le 14 et le 20 octobre, elle n’a consacré qu’une minute et quarante-huit secondes à l’attaque de Mogadiscio, soit trente-quatre fois moins.

Faut-il accepter en guise d’explication la faible distance qui sépare Barcelone du siège des rédactions parisiennes, ce que l’on appelle dans certaines écoles de journalisme la loi du « mort kilométrique » ou du « mort-kilomètre » ? Le simple critère de la proximité géographique tombe lorsqu’on compare le traitement par TF1 des attentats de New York et de Mogadiscio, villes situées respectivement à 5 845 kilomètres et à 6 625 kilomètres de Paris. Entre le 1er et le 7 novembre, les événements de New York ont été évoqués trois fois, pour une durée totale de vingt et une minutes et quinze secondes, soit douze fois plus que le temps d’antenne dévolu aux morts de Somalie.

Au nombre des facteurs qui déterminent l’intensité de la couverture accordée à l’Afrique pourraient figurer l’implication de l’armée française ou la présence de Français parmi les victimes. La présence de journalistes sur le terrain apparaît elle aussi cruciale : aucune des trois radios — France Inter, RTL, Europe 1 — qui obtiennent les plus grosses audiences matinales ne dispose de correspondants permanents en Afrique. France 2 en conserve un à Dakar, malgré la fermeture de son agence spécialisée en 2014  (2), tandis que TF1 ne travaille désormais plus qu’avec des journalistes pigistes sur le continent. Dans la presse quotidienne, Le Monde s’appuie sur deux correspondants permanents, officiant l’un à Johannesburg et l’autre à Tunis ; Le Figaro ne dispose plus d’aucun journaliste mensualisé en Afrique. Seule RFI se démarque, puisque la station publique — qui a pour slogan « Les voix du monde » — dispose de quatre correspondants en poste à Dakar, Abidjan, Kinshasa et Nairobi. Son traitement des trois attentats est moins déséquilibré que ceux de tous les autres médias.

« Évitons la surdose médiatique après les attentats », titrait une tribune publiée par Le Monde le 25 août 2017. S’agissant des morts de Mogadiscio, auxquels le quotidien vespéral aura consacré huit fois moins de signes qu’à ceux de Barcelone et de Cambrils, la surdose aura été évitée.

Téo Cazenaves

Journaliste.

(1« Le bilan de l’attentat en Somalie en octobre bondit à 512 morts », Le Monde, 2 décembre 2017.

(2Léa Ticlette, « AITV victime de l’évolution des objectifs de France TV », RFI, 9 décembre 2014.

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :