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Publié par LDH49

Ce que la réélection de Donald Trump dit de nos démocraties

Tribune de Nathalie Tehio, présidente de la LDH, publiée sur Mediapart

La réélection de Donald Trump à la présidence des Etats-Unis a fait l’effet d’un coup de tonnerre partout dans les espaces publics démocratiques et notamment en Europe. Alors que de nombreux commentaires s’attachent à comprendre pourquoi si peu ont vu « l’éclair » qui le précédait, à savoir les facteurs et les causes d’un tel résultat, il importe de se projeter au cœur des conséquences de ce choix électoral, dans un contexte de fragilisation globale de l’Etat de droit au sein des régimes démocratiques.

L’image de businessman issu du monde des affaires qui lui est souvent accolée pourrait laisser croire à une certaine indifférence au fonctionnement des institutions, à une approche concentrée sur des objectifs économiques ; le reste, alliance avec les milieux les plus réactionnaires, outrance, désinformation systématique, ne serait que des moyens. Cette image a une persistance impressionnante, puisqu’en dépit des marasmes financiers et des fraudes, les électeurs états-uniens semblent continuer de placer en Donald Trump des espoirs de prospérité future. Les démocrates pâtissent ainsi d’être assimilés aux mesures restrictives prises durant la pandémie de Covid, puis à la période inflationniste qui a suivi ; on peut déplorer la mémoire sélective et le confort intellectuel qu’elle offre, mais cela n’avance plus à grand-chose aujourd’hui.

Au-delà de la persistance de cette image du milliardaire conquérant, de son succès, c’est son caractère illusoire qu’il faut mesurer. L’autoritarisme et le mépris des institutions démocratiques sont à la base du phénomène politique qui a porté Donald Trump une seconde fois au pouvoir. Sans compter que le culte du « businessman » porte à ne rechercher que l’efficacité managériale, sans considération pour les droits de l’Homme ou l’Etat de droit, ce qui est fondamentalement anti-démocratique.

Cette affirmation peut apparaître paradoxale à un moment où, non content d’avoir comme en 2016 tiré parti du mécanisme déséquilibré des grands électeurs à la présidence, il a attiré une majorité des suffrages exprimés par les citoyen-ne-s états-unien-ne-s et où les Républicains ont remporté une majorité au Sénat tout en la maintenant à la Chambre. C’est une victoire incontestable où le mode de scrutin et ses défauts ne peuvent que passer au second plan ; son adversaire Kamala Harris et le président Joe Biden ont d’ailleurs tous deux appelé de leurs vœux une transition pacifique et ordonnée, en complet contraste avec le même Donald Trump qui avait en 2020-2021 refusé de reconnaître sa défaite face à Joe Biden, puis poussé ses partisans à l’assaut du Capitole le 6 janvier, au moment où le Congrès se réunissait pour confirmer le résultat de l’élection présidentielle.

Dans le pays qui a le premier mis en œuvre un système abouti de « checks and balances » (séparation des pouvoirs par contrepoids), Donald Trump est parvenu à réunir entre ses mains les pouvoirs exécutif, législatif, mais aussi judiciaire, puisqu’il a contribué à façonner une Cour suprême de tendance très conservatrice. Notamment de ce fait, on peut penser que les poursuites dont il faisait l’objet, y compris celles liées à sa responsabilité dans la tentative de coup d’Etat de janvier 2021, seront abandonnées ou tomberont d’elles-mêmes du fait de l’immunité présidentielle interprétée largement par la Cour suprême, les checks and balances servant opportunément en l’occurrence à maintenir la capacité d’agir de l’exécutif. Le procureur spécial qui instruit le dossier contre Donald Trump pour rétention de documents classifiés vient d’ailleurs d’annoncer renoncer à poursuivre le président élu.

S’imposer à la tête de toutes les institutions démocratiques tout en faisant peser sur elles une menace existentielle des années durant, c’est le tour de force d’un phénomène politique qui ne se limite pas à Donald Trump. Dans un énième renversement, c’est d’ailleurs ce dernier qui identifie des « ennemis de l’intérieur » à combattre au sein même de Washington. Durant la campagne, les tentatives de rectification des outrances, de dénonciation de diatribes racistes ou de perspectives politiques inconstitutionnelles n’ont pourtant pas porté leurs fruits. Y a-t-il donc une adhésion majoritaire à cette culture de la vengeance politique, du rejet brutal des contre-pouvoirs, du mépris de l’autre ?

Tout porte à croire que l’état des choses est plus complexe. Comme en Europe ou en France, des franges de l’électorat peuvent être séduites par une rhétorique identitaire qui fait croire qu’en excluant une partie des catégories sociales (les étrangers, les personnes LGBT voire les femmes), les autres seront mieux protégées. Mais c’est lorsque cette idéologie dangereuse qui revient sur l’égalité des droits réussit à se parer des atours de la justice ou de la réparation face aux précarisations qu’elle peut apparaître majoritaire et ainsi véritablement se renforcer. Elle a besoin pour cela d’alliances de circonstances ou de relais de communication puissants qui vont émousser la capacité à rendre compte de ses impostures.

Elon Musk en est l’exemple-type, qui s’est fait soutien zélé de Donald Trump mais au-delà également des pires discours réactionnaires contre l’égalité des droits, notamment en Europe. S’il a mis au service de la campagne présidentielle aux Etats-Unis des financements et des pans entiers de son réseau social X, dont on ne peut plus ignorer la nature de machine de siège idéologique, il a appuyé plusieurs dirigeants d’extrême droite, comme Viktor Orban, Javier Milei, ou encore la présidente du Conseil italien Giorgia Meloni, dernièrement face aux décisions judiciaires contrecarrant le projet de transfert et de rétention de migrants en Albanie. Il s’est également lancé les mois écoulés dans une campagne d’attaques contre la majorité travailliste au Royaume-Uni, annonçant entre autres une guerre civile à venir du fait de l’immigration clandestine.

Ces alliances ou ces vendetta, si elles sont parfois pitoyables tant elles reposent sur des mensonges ou des amalgames éhontés, sont efficaces en ce qu’elles jouent sur les peurs, et si elles entretiennent de manière continue le flou, elles s’affirment au nom d’une liberté d’expression sans frein. Vérifier ou réfuter est alors à double tranchant, puisque c’est le prétexte à la dénonciation d’un contrôle extérieur, qui est assimilé aux institutions à travers les principes démocratiques qui les fondent, dans une sorte de neutralisation de « l’Etat de droit profond ». C’est un vrai danger, qui dépasse la personne d’Elon Musk ou des milliardaires contrôlant des médias, que les défenseuses et défenseurs des droits soient ainsi dépeints comme autoritaires ou s’opposant à la volonté populaire ; comme nous l’avons annoncé au moment de l’élection de Donald Trump, il nous faudra faire preuve de solidarité avec celles et ceux qui vont devoir y faire face aux Etats-Unis dans la période à venir.

Et, contrairement à ce que pourrait laisser penser la préférence avouée de Donald Trump pour une forme d’isolationnisme en matière de politique internationale, il faut s’attendre à ce que les mouvements réactionnaires et d’extrême droite européens reçoivent un appui marqué de l’administration états-unienne dans les années à venir. En France, il nous faudra y faire face dans un contexte où les principes de l’Etat de droit sont vite oubliés au profit du court-termisme politique.

Témoin encore récemment les critiques étonnantes de divers horizons partisans contre le réquisitoire du procureur face à Marine Le Pen dans l’affaire des assistants parlementaires du FN ; comme si le seul fait de demander l’application de la loi y compris dans sa rigueur constituait un déni de démocratie. La loi n’a-t-elle pas été votée par le Parlement ? Est-ce à dire que la condamnation à l’inégibilité ne doit trouver à s’appliquer qu’à des personnes pour qui elle a moins ou pas de conséquence ? À partir de quel seuil devrait-on être intouchable ? Ou en réalité, le délinquant n’est plus celui qui a violé la loi pénale en commettant une infraction mais celui déjà pré-désigné à la vindicte populaire, le fameux « ennemi de l’intérieur » aux contours flous mais qui prend généralement, pour l’extrême droite, la figure de l’étranger, bouc émissaire. Le véritable problème est celui du respect de l’Etat de droit : on ne peut désavouer par avance la décision des juges en leur opposant le spectre de la souveraineté populaire.

Nathalie Tehio, présidente de la LDH

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