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Publié par LDH49

Le Pacte de l’UE sur les Migrations et l’Asile : Entre aveu de faiblesse de notre souveraineté européenne et rejet de nos valeurs fondatrices

Communiqué commun dont la LDH est signataire

À l’attention du Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin,

En tant que représentants de Generation for Rights Over the World (Grow), un think tank de jeunes profondément engagé dans la défense des droits fondamentaux et de la dignité de tous les individus à travers le monde, nous vous écrivons avec un sentiment d’urgence et d’inquiétude concernant le récent vote et la révision à venir du Pacte de l’Union européenne sur la migration et l’asile.

Suite à la récente approbation du texte par le Parlement européen, nous comprenons que le sort de ce document crucial est maintenant entre les mains du Conseil de l’Union européenne pour une approbation formelle. C’est donc avec une profonde inquiétude que nous vous implorons de ne pas voter en faveur de l’approbation du texte, car il est en contradiction directe avec les fondements même sur lesquels le système de l’Union européenne a été construit, avec les engagements programmatiques décrits dans le Plan d’Action de l’UE sur l’Intégration et l’Inclusion, le Plan d’Action de l’UE sur l’Intégration et le Plan d’Action de l’UE contre le Racisme, ainsi qu’avec la pratique dérivée de la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE).

Tout d’abord, les mesures proposées dans le cadre du pacte non seulement ne répondent pas aux difficultés rencontrées par les personnes migrantes et les demandeurs et demandeuses d’asile dans leur quête d’un meilleur avenir, mais elles portent aussi activement atteinte à leurs droits fondamentaux et à leur dignité. En effet, plutôt que d’incarner une véritable réforme des politiques européennes en matière d’asile et de migration en vue de garantir les valeurs indivisibles et universelles de dignité humaine, de liberté, d’égalité et de solidarité inscrites dans le préambule de la Charte des droits fondamentaux, le pacte perpétue des politiques d’endiguement et de dissuasion qui se sont révélées inefficaces et qui ont entraîné des souffrances humaines considérables.

L’externalisation de la gestion des frontières vers des pays où les garanties en matière de droits humains sont insuffisantes, comme la Libye et la Tunisie, est particulièrement préoccupante, car elle viole le principe de non-refoulement et officialise la coopération de l’Union européenne avec des pays dont le bilan en matière de droits humains a été condamné par de nombreuses institutions internationales. Reconnue publiquement comme un lieu de débarquement dangereux par le Conseil de l’Europe et les Nations unies, la Libye fait depuis des années l’objet d’une surveillance internationale pour les conditions de détention inhumaines subies par les migrants et les demandeurs d’asile détenus dans des centres de détention officiels et non officiels. Pas plus tard qu’en février de cette année, des rapports rédigés par de nombreuses ONG ont fait état de nombreux cas de torture, de mauvais traitements, d’abus d’usage de la force, de violences sexistes et sexuelles, ainsi que de traite des êtres humains dans divers centres de détention à travers le pays. De plus, la mission indépendante d’établissement des faits en Libye de l’Onu a également exprimé son inquiétude quant aux conditions de vie des migrants et des demandeurs d’asile en Libye. Déjà auteurs d’un rapport conjoint en 2016 sur la question, l’UNSMIL et le OHCHR ont publié en 2018 un autre rapport, « Desperate and Dangerous: Report on the human rights situation of migrants and refugees in Libya », qui a conclu que :

« Pour remédier aux violations systématiques des droits humains subies par les migrants en Libye, la Libye doit revoir son approche à la gestion des flux migratoires, en plaçant la protection des droits humains au centre de ses plans d’action. De plus, alors que les groupes armés et les bandes criminelles continuent de s’enrichir grâce au trafic de migrants et de réfugiés, à l’extorsion et à d’autres formes d’abus perpétrés contre les migrants et les réfugiés, la lutte contre ces crimes est non seulement nécessaire pour respecter les obligations de la Libye en vertu du droit international, mais elle est également essentielle à l’établissement de l’État de droit en Libye. »

Vis-à-vis de l’engagement des institutions européennes aux principes de liberté, de démocratie et de droits humains détaillés dans le Traité de l’Union européenne, il est inadmissible que les individus cherchant la sécurité en Europe soient soumis à des conditions qui incluent la détention, la violence, la violence sexuelle, l’extorsion et le travail forcé à leur retour dans les pays qu’ils ont traversés en cherchant la sécurité et l’amélioration de leurs moyens de subsistance.

De plus, en donnant la priorité au traitement rapide et aux retours, le pacte institutionnalise fondamentalement des pratiques qui portent atteinte au droit de demander l’asile et contredisent les valeurs consacrées par d’autres initiatives de l’UE. En n’offrant pas de protection adéquate aux personnes dans le besoin et en perpétuant un système de discrimination de facto, le pacte contrevient au plan d’action de l’UE sur l’intégration et l’inclusion et à son projet de donner à tous des chances égales de jouir de leurs droits et de participer à la vie communautaire et sociale, indépendamment de leur origine et conformément au pilier européen des droits sociaux.

Enfin, les initiatives présentées dans la proposition de pacte vont sans aucun doute en contradiction avec la pratique établie par la Cour de Justice de l’Union européenne qui, depuis ses origines, a garanti que l’interprétation et l’application des Traités dépendent des principes de la démocratie, de l’État de droit et des droits humains. Notamment, la proposition susmentionnée d’externaliser la gestion des migrations vers des pays tiers peu sûrs contraste clairement avec la décision de la CJUE dans les affaires jointes C-540/17 et C-541/17, dans laquelle la Cour a réaffirmé l’interdiction traitements inhumains ou dégradants à tous les stades de la procédure d’asile. En apportant un soutien logistique et financier aux pays où les droits des personnes migrantes et des demandeurs d’asile sont régulièrement bafoués, l’Union européenne se détourne de son engagement à protéger les demandeurs et demandeuses d’asile contre des risques sérieux de traitements inhumains ou dégradants. De surcroît, l’Union européenne et ses États membres communiquent régulièrement sur la nécessité de renforcer leurs souverainetés  ; force est de constater que ce texte n’en constitue qu’un aveu de faiblesse, déléguant nos prérogatives souveraines de gestion des frontières et par la même occasion jetant aux oubliettes des prisons libyennes, où croupissent des personnes victimes de crimes internationaux, les valeurs fondatrices d’accueil et d’intégration de nos démocraties.

En tant que jeunes défenseurs et défenseuses des droits humains et de la justice sociale, nous vous demandons de rejeter la version actuelle du Pacte Européen sur la Migration et l’Asile. Au lieu de cela, nous vous demandons de poursuivre des politiques qui respectent la dignité et les droits de tous les individus, indépendamment de leur origine ou de leur statut migratoire. Il s’agit notamment de garantir l’égalité des chances en matière d’intégration et de participation à la vie de la communauté, ainsi que de respecter les principes de non-discrimination et d’égalité.

À ce titre, nous proposons d’appeler les institutions européennes à revoir le texte dans l’objectif de :

    Garantir des conditions d’accueil dignes en plaidant pour un accès inclusif au logement, aux soins de santé, à l’éducation et à d’autres services essentiels  (développement de politique d’accueil) ;

    Dénoncer toute forme de collaboration en matière de gestion des migrations, qu’elle soit logistique ou financière, avec des pays tiers dont les pratiques en matière de droits humains sont au mieux médiocres, au pire déplorables ;

    Appeler à la mise en œuvre de procédures d’asile justes et efficaces qui donnent la priorité à la protection des personnes vulnérables, y compris les mineurs non accompagnés, les survivants d’actes de torture et les victimes de la traite des êtres humains ;

    Encourager le renforcement de la coopération entre les États membres de l’UE, ainsi qu’avec les organisations non gouvernementales, les acteurs de la société civile et les partenaires internationaux dans l’élaboration, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques de l’UE en matière d’immigration et d’asile ;

    Encourager l’exploration d’alternatives à la détention pour les migrants et les demandeurs d’asile, telles que les alternatives communautaires et les systèmes de gestion de cas, afin de s’assurer que la détention n’est utilisée qu’en dernier recours et pour la période la plus courte possible.

Nous vous demandons de donner la priorité à la sécurité et au bien-être des personnes migrantes et des demandeurs d’asile, et de travailler à l’élaboration de politiques migratoires globales et humaines qui reflètent les valeurs de solidarité, de compassion et de respect des droits humains qui sont les nôtres.

Derrière chaque mort en Méditerranée ou personnes détenues et torturées dans les centres de détention libyens ou via les réseaux de passeurs, ce sont des humains comme vous et nous. Leur humanité et dignité n’a pas à être sacrifiée au nom d’une politique fondée sur la peur des autres.

Sincèrement,

Generation for Rights Over the World (GROW)

Organisation signataire : LDH (Ligue des droits de l’Homme)

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