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Publié par LDH49

En France, le nombre de femmes sans papiers enceintes ou avec enfants en bas âge à la rue ne cesse de croître

27 novembre 2022 – Tribune collective publiée dans le Monde, signée par la LDH

Parmi les indicateurs de développement humain d’un pays, ceux relatifs à la santé périnatale sont parmi les plus probants. Ils mesurent, à travers l’état de santé des femmes enceintes et de leurs nouveau-nés, celui de la population globale et la qualité du système de soins. Or le récent rapport de Santé publique France sur la santé périnatale, qui en apprécie l’évolution depuis 2010, est alarmant. Il révèle, dans un pays mondialement connu pour la qualité de ses prises en charge périnatales, une dégradation sélective selon les territoires et surtout les populations.

En Ile-de-France, le cas des femmes étrangères et sans papiers et de leurs bébés est extrêmement préoccupant. Plus généralement, en France, le nombre de femmes sans papiers enceintes ou avec enfants en bas âge à la rue ne cesse de croître. Ces femmes et leurs enfants, souvent d’origine africaine et maghrébine, sont en danger. Et nous avec.

Les services sanitaires alertent sur la recrudescence de la mortalité infantile et des sorties de maternité à la rue depuis longtemps. En 2012, l’Agence régionale d’Ile-de-France pointait, dans l’enquête « Réduire la mortalité infantile et périnatale », la surmortalité infantile en Seine-Saint-Denis : 4,8 ‰ contre 3,2 ‰ en France métropolitaine. Une des préconisations issues de ces travaux est la stabilisation de l’hébergement des femmes enceintes et accouchées, au minimum au troisième trimestre de grossesse et jusqu’aux 6 mois de l’enfant. Portant sur la réduction des inégalités de santé précoces, le rapport sur les « 1 000 premiers jours de l’enfant » (septembre 2020) plaide pour une obligation d’hébergement jusqu’à ses 2 ans, prérogative des conseils départementaux. Or, la situation ne fait qu’empirer.

Si le scandale des femmes à la rue est devenu « grande cause régionale » dès 2017, le dernier rapport de Santé publique France précise que la proportion de femmes sans abri ayant accouché en Ile-de-France est passée de 5,8 ‰ en 2010 à 22,8 ‰ en 2019. Les plus exposées sont les femmes étrangères les plus récemment arrivées. En 2020, 38,75 % des femmes enceintes en situation de grande précarité accompagnées par le réseau de santé périnatal Solidarité Paris Maman (Solipam) Ile-de-France, sont arrivées en France entre 2019 et 2020. Cette proportion s’élève à 67,5 % si on prend en compte celles arrivées depuis 2018.

Le cas de Sonia, est illustratif. Travaillant comme plongeuse, non déclarée, dans un restaurant au début de sa grossesse, elle y dort pour être à l’heure à son poste de travail. À 5 mois de grossesse, épuisée, elle contacte le réseau pour être aidée dans sa recherche d’hébergement. En raison de la pénurie de places, les professionnels sont démunis. Sonia connaît un parcours d’errance résidentielle durant le reste de sa grossesse, où elle est amenée à changer d’hôtel régulièrement, passant des nuits à la rue. Assidue dans le suivi de sa grossesse, à Paris, son médecin hospitalier programme une césarienne en raison d’une grossesse à risque. Quelques jours avant, Sonia rentre en travail. Elle est hébergée en hôtel 115 dans les Yvelines où elle accouche par césarienne, en urgence, dans une maternité qu’elle ne connaît pas, sans que l’équipe hospitalière puisse avoir accès à son dossier médical. 

Une femme enceinte qui n’est pas accompagnée pendant sa grossesse est exposée, tout comme l’ensemble de sa famille à des risques importants en termes de santé psychique et somatique pouvant aller jusqu’au suicide maternel, comme s’alarme l’enquête nationale confidentielle sur les morts maternelles menée par l’Inserm et Santé Publique France 2020..Cet état de fait a un impact négatif en retour sur le système de santé, dont les acteurs de terrain, médicaux et sociaux, font face à des situations complexes et à haut risque de morbi-mortalité. Les risques psycho-sociaux professionnels sont ainsi importants pour les acteurs de santé. Et c’est sans compter le coût social de telles situations, qui exigent des prises en charge compliquées de familles vulnérabilisées précisément par les conditions de vie à la rue en lieu et place d’actions préventives. 

Le dernier rapport de l’UNICEF (2021) alerte sur la privation des droits des enfants dans le monde, mais en France, c’est le droit au logement de ces enfants qui est bafoué. La déshumanisation des femmes étrangères touchées « en plein corps » contredit la fiction d’une République égalitaire, hospitalière et émancipatrice. Le système, pervers, détruit d'une main ce qu'il donne de l'autre. Les femmes sans-papiers peuvent accoucher à l’hôpital mais sorties, elles et leurs bébés sont privés de leurs droits à la santé et à l’hébergement, parfois même alors qu’elles sont demandeuses d’asile. Par ailleurs, ces femmes, y compris les déboutées de leur demande d’asile, justifient d’un accès prioritaire à une mise à l’abri, dont il faut rappeler qu’elle n’est en aucun cas soumise à une condition de « séjour régulier ». De plus, la trêve hivernale n’est pas respectée par les mises à la rue actuelles. Certes, la scolarité est obligatoire jusqu'à 16 ans, mais leurs enfants peinent à être scolarisés normalement. La mise à l'abri des personnes vulnérables est inscrite dans la loi, tout comme le droit de vivre en famille, mais il arrive trop souvent que les hébergements soient accordés à la nuitée et au compte-goutte, et que les conjoints soient séparés. L'égalité entre les hommes et les femmes et la non-discrimination sont des valeurs cardinales de notre République mais le racisme d'État sélectionne les ayant-droits. Le déni qui entoure la situation faite aux femmes sans-papiers et à leurs enfants nous prive lentement de notre capacité de penser. Comme l'écrivait Hannah Arendt, c'est alors la démocratie qui se délite. 

Face à cette situation dramatique, nous demandons au gouvernement de faire appliquer la loi et de faire en sorte que soit assuré l’hébergement social systématique des femmes enceintes sans papiers et de leurs bébés.

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