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Publié par LDH49

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Texte du discours de Nathalie Tehio – LDH

 Prix de « la fierté de l’action civique ». 17 mars 2022

Je remercie le Forum civique européen d’avoir décerné un des prix de « la fierté de l’action civique » 2021 aux Observatoires des pratiques policières dont je suis la référente nationale pour la Ligue des Droits de l’Homme. Nos observatoires se sont donnés une mission : défendre la liberté de manifestation comme mode d’expression collective, qui participe de la démocratie.

Danièle Tartakowsky, historienne qui analyse les mouvements sociaux depuis le 19ème siècle, dit à ce propos que la manifestation est la forme la plus simple de referendum d’initiative populaire, permettant l’expression d’idées qui cherchent à être incluses dans le débat public ou qui contestent le pouvoir en place.

Aujourd’hui, j’ai une pensée toute particulière pour la population d’Ukraine victime des bombardements de l’armée russe mais aussi pour les manifestantes et manifestants qui, en Russie et en Biélorussie, s’opposent à la guerre d’agression menée par Vladimir Poutine contre l’Ukraine. Plus de dix mille femmes et hommes ont été arrêtés dans le but de les empêcher de se faire entendre.

Il y a quelques semaines, la dissolution de Memorial était une nouvelle étape dans la volonté d’éradiquer toute action des défenseurs des droits de l’Homme. Même si leur voix est empêchée, nous savons qu’ils et elles sont avec nous contre les crimes de guerre.

Nous voyons en tout cas que le choix du Forum civique européen de mettre en valeur le travail des observatoires indépendants parmi les dizaines de milliers d’actions qui font chaque jour la force et la richesse de la citoyenneté active en Europe, est tout à fait d’actualité.

Pour en venir aux pratiques policières que nous observons en France depuis maintenant quelques années, elles incluent des niveaux de violences physiques qui n’avaient pas été vus depuis des décennies. C’est ce niveau et leur répétition qui ont fait que ces observatoires se sont créés, documentant toutes les atteintes aux droits de manifester, des plus légères aux plus répréhensibles et condamnables par la justice.

Nous sommes conscients que la répression s’abat plus lourdement dans les dictatures. Mais j’ai rencontré un des principaux artisans du mouvement de protestation réclamant la démocratie à Hong Kong, et il m’a traduit des messages en chinois des autorités qui prenaient prétexte de la façon dont les forces de l’ordre françaises intervenaient lors des manifestations, pour ironiser sur leur demande de démocratie : de quoi vous plaignez vous, regardez ce que fait la France, qui est une démocratie ! Il est donc particulièrement important que nous, observatoires citoyens, nous poursuivions notre lutte pour permettre l’exercice d’une liberté fondamentale.

Nous avons remarqué que la présence d’observateurs indépendants amène parfois les forces de l’ordre à ne pas employer une force qui ne se justifie pas. En tout état de cause, elle permet de documenter un emploi de la force non nécessaire ou disproportionné. Nous agissons à toutes les étapes de ce qui fait la liberté de manifester, et pas seulement dans les situations de risque de violences physiques.

Nous avons pu documenter les emplois détournés du droit comme des interdictions de manifestation dont certaines, contestées, ont pu être suspendues par le juge administratif ; comme le discours du le préfet de police de Paris à la presse affirmant qu’il interdisait la manifestation en train de se dérouler, ce qui est impossible en droit français, et de surcroît, sans même prendre d’arrêté ; comme encore l’emploi de la force contre des manifestants au seul motif que la manifestation n’était pas déclarée au préalable, ce qui est contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme.

Nous avons pu documenter des interpellations violentes, y compris contre des personnes déjà menottées et à terre, l’emploi d’armes de guerre contre des manifestants, dont l’utilisation est totalement inappropriée à l’égard d’une foule (LBD 40, grenades offensives) ; usage de grenades de désencerclement au milieu de manifestants, sans situation de menace pour les forces de l’ordre.

Lors d’un mouvement social qui a duré plusieurs mois, plus de vingt personnes ont perdu un œil, une main, ou subi des troubles neurologiques graves du fait des forces de police. Nous avons pu constater la mise en tension des manifestants par les forces de l’ordre, par des interpellations au beau milieu de la foule, par le fait de pousser violemment les manifestants pour aller chercher les personnes arrêtées, par l’emploi de grenades lacrymogènes et de la force en-dehors de toute violence de la part de ceux-ci, ce qui accroit les tensions ; par l’encerclement des manifestants, comme s’ils étaient des délinquants en puissance, ou leur nassage sans motif autre que la volonté de les dissuader de participer à une manifestation. Nous avons vu des policiers en civil pousser des manifestants contre des forces de l’ordre, déclenchant la riposte par des coups.

Toutes ces violences et intimidations ont découragé beaucoup de citoyens de manifester, ce qui affaiblit encore notre démocratie.

Nous avons vu des journalistes se faire arrêter, ou frapper parce qu’ils filmaient, alors même qu’ils affichaient clairement leur appartenance à la presse.

Nous avons d’ailleurs pu aider à documenter une enquête-vidéo par le journal le Monde montrant un commissaire se déportant de son chemin pour aller frapper des journalistes qui s’étaient mis sur le côté pour laisser passer la charge policière.

Ce sont nos constats qui nous ont permis de faire des plaidoyers ou d’aider des victimes. Et bien entendu, nous avons été nous-mêmes pris pour cibles de violences (pour l’instant aucune procédure contre les forces policières qui les ont exercées n’a aboutie).

Il y a aussi eu des poursuites à l’encontre d’observatrices, qui ont obtenu des relaxes, mais ce sont bien des procédures-baillons qui visent à nous intimider.

Je m’arrête là, même si je voudrais vous dire encore beaucoup de chose sur ce qui se passe dans mon pays, mais il me faut conclure. Je vous dirais donc que nous allons nous prévaloir du prix que vous nous remettez pour faire valoir, notamment devant les juridictions, que nous accomplissons une tâche qui est reconnue internationalement comme nécessaire pour la défense des libertés, pour la préservation de la démocratie.

Ce prix est un soutien pour imposer à l’État de respecter la liberté de manifestation, dont nous sommes les défenseurs. Encore, un grand merci au Forum civique européen.

Le Forum Civique Européen (FCE) est un réseau européen de plus de cent associations et d’ONG présentes dans 27 pays européens, engagées sur les questions de civisme et d’éducation à la citoyenneté, de la protection des droits de l’Homme et de la promotion de la démocratie.

Chaque année, le Forum civique européen récompense des initiatives civiques exceptionnelles lors d'un événement annuel organisé au Parlement européen à Bruxelles pour célébrer leur travail inspirant, accroître leur visibilité au niveau européen et encourager les convergences entre leurs luttes.

Cette année six initiatives ont été récompensées le 17 mars 2022, dont celle des Observateurs des libertés et des pratiques policières pendant les manifestations.

L’observatoire angevin des libertés publiques (OALP) est l’un de ces observatoires. Il a commencé ses premières observations.

 

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