TRIBUNE du romancier israélien Etgar Keret dans Libération
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Des voix, peu nombreuses, s'élèvent en Israël. A titre d'exemple, nous publions ici le point de vue du romancier israélien Etgar Keret. Pour lui, un pays normal comprendrait que la terreur qui fait rage dans ses rues a des racines profondes auxquelles on ne peut s’attaquer uniquement par la force et la violence. Un pays normal entendrait qu’un changement doit advenir.
Il publie une tribune dans Libération sous le titre "Gaza, l'engrenage"
En voici des extraits:
"Une fois de plus, voici que les missiles s’abattent par centaines sur les villes israéliennes. Une fois de plus, voici que les analystes militaires de Channel 12 [la 2ème chaine israëlienne, NDLR] fulminent sur le plateau : la réponse devra être implacable. (...)
Shimon Riklin, journaliste conservateur très présent dans les médias, a tweeté le message suivant : « Dans un pays normal, la moitié de Gaza serait déjà en flammes.» Il importe de lui rappeler que dans un pays normal, Itamar Ben Gvir ne serait pas élu à la Knesset et qu’il n’ouvrirait pas, main dans la main avec l’organisation raciste Lehava, ce qu’il a baptisé son « bureau parlementaire » à Sheikh Jarrah, quartier arabe de Jérusalem-Est, un bureau parlementaire qui se compose de deux chaises en plastique. Dans un pays normal, Amir Ohana, ministre de la Sécurité publique, qui aime à déclarer qu’il est responsable de tout mais coupable de rien, ne donnerait pas l’ordre de bloquer les marches de la porte de Damas en plein ramadan. Et, dans un pays normal, la police israélienne apporterait aux émeutes dans Jérusalem une réponse plus modérée, comme elle avait coutume de le faire, au lieu de lancer des grenades assourdissantes à l’intérieur même de la mosquée Al-Aqsa, grenades dont les explosions assourdissent le monde entier. Un pays normal combattrait le Hamas en mettant toute sa force à profit, mais aussi tout son entendement, pour admettre qu’un tel combat, si brutal soit-il, ne pourra éradiquer les tensions, les heurts, l’anarchie et le sentiment de dépossession qui se font si cruellement sentir à Lod, à Jaffa et à Jérusalem-Est. Ce pays comprendrait que la terreur abjecte qui fait rage dans ses rues a des racines profondes auxquelles on ne pourra s’attaquer uniquement par la force et par l’intimidation. Dans un pays normal, on comprendrait qu’un changement doit advenir, et que la formation d’un gouvernement susceptible d’inclure un parti arabe pourrait constituer un véritable effort commun visant à résoudre le problème avec les Arabes d’Israël et non à leur place.
Seulement voilà : notre pays n’est pas un pays normal, et il n’est pas prêt à reconnaître ses erreurs. Mais peu importe. La prochaine fois, on les bombardera plus violemment que jamais, et on mettra fin à cette histoire, une bonne fois pour toutes."
Traduit de l’anglais par Alexandre Pateau...