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Publié par Alice Mogwe, présidente de la FIDH

Des soulèvements populaires secouent toutes les régions du monde. Bien qu’apparemment disparates et déconnectés, ces mouvements ont une toile de fond commune : le rejet d’un modèle socio-économique élitiste qui favorise les inégalités, la corruption, la discrimination, les abus de pouvoir et les violations des droits humains. En réponse, il est demandé de bâtir des sociétés plus résilientes, plus inclusives, plus respectueuses et plus équitables afin que les communautés et les individus puissent s’épanouir. Ceci, alors que le monde est marqué par le racisme, les discours de haine, les brimades et la menace existentielle du changement climatique.

Ces soulèvements populaires sont des manifestations nées d’expériences vécues d’exclusion. En général, ils ne s’articulent pas autour d’une idéologie ou d’un parti politique, ils transcendent les mouvements politiques existants. Ils sont la voix de ceux qui se sentent réduits au silence et exclus des systèmes de gouvernance. Nous devons rendre hommage ici au courage des femmes, des hommes et des autres, jeunes et moins jeunes, qui sont descendus dans la rue, souvent dans des pays où le droit de manifester ou le droit de revendiquer des droits sont bafoués et réprimés.

En ce 10 décembre, jour anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (DUDH) en 1948, nous mesurons combien ce texte permet de mesurer nos réalisations et défis dans les sphères civiles, politiques, économiques, sociales, culturelles et en matière de développement.

La DUDH fournit également les orientations nécessaires pour la résolution de ces crises, grâce au respect et à la protection, notamment, du droit de manifester ; du droit à la liberté d’expression ; du droit à une égale protection de la loi ; du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne ; du droit à l’éducation, aux soins de santé, à l’alimentation, au logement et à la sécurité sociale ; de l’égalité entre les femmes, les hommes et les autres ; du droit d’être libre de toute forme de discrimination ; du droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; du droit à un procès équitable et à un procès équitable ; du droit de ne pas être torturé, arrêté ou détenu de façon illégale ou arbitraire.

Les organisations de défense des droits humains de par le monde s’emploient aujourd’hui activement à remettre en question ce statu quo en recourant aux tribunaux et à des institutions démocratiques efficientes, en dénonçant les violations des droits humains, en informant davantage le public par les médias, en ayant recours aux mécanismes régionaux et internationaux – chaque fois dans le but de redresser des injustices, faire dire le droit et encourager les États à assurer la protection des leurs citoyen-ne-s.

Pourtant, les défenseur.e.s des droits humains sont de plus en plus pris pour cible en raison de leur travail, par le biais de menaces, de campagnes de diffamation, d’intimidation, de harcèlement et de disparitions forcées. En 2018, au moins 318 défenseur-e-s ont été tué-e-s pour avoir défendu les droits humains. Des représailles ont été exercées contre des défenseur-e-s des droits humains en Turquie, par exemple, où des organisations humanitaires et de défense des droits humains ont été fermées et des défenseur-e-s arrêté-e-s et emprisonné-e-s. Au Honduras, au début de cette année, plus de 200 défenseur-e-s des droits humains avaient été attaqué-e-s.

En décembre 2018, au nom de centaines de défenseur-e-s des droits humains réunis au Sommet mondial des défenseurs des droits humains à Paris en octobre 2018, j’ai présenté à l’Assemblée générale des Nations unies, la Déclaration du Sommet mondial des défenseur-e-s des droits humains. A travers elle, nous dénoncions comment, partout dans le monde, ceux qui défendent les droits de tous sont intimidés, harcelés, attaqués, emprisonnés ou même tués. Nous appelions les États « à reconnaître le rôle essentiel des défenseur-e-s des droits humains, à protéger les personnes en danger et à prendre des mesures concrètes pour favoriser un environnement sûr et favorable, notamment par l’adoption de plans d’action nationaux pour la protection des défenseurs des droits humains ».

Au cours de l’année écoulée, alors que les soulèvements populaires se sont multipliés, la répression contre les défenseur-e-s n’a fait qu’augmenter, et plus particulièrement dans les cas où ils ont exigé une justice sociale, économique ou environnementale. Pourtant, ces défenseur-e-s sont les acteurs du changement dans et pour nos sociétés. Ils sont les observateurs, les lanceurs d’alerte et les gardiens de notre bien-être collectif.

Cependant, en raison de la mainmise des États sur les mécanismes d’enquête et les institutions judiciaires régionaux et internationaux indépendants, la capacité des défenseurs à protéger les droits humains est limitée. Des organes tels que la Cour pénale internationale, les procédures spéciales et les organes conventionnels des Nations Unies, ou encore les mécanismes régionaux des droits humains, sont menacés du fait de leur dépendance budgétaire vis-à-vis des États membres. Ils risquent également de devenir désarmés quand leurs recommandations ne sont pas respectées ou mises en œuvre par les États membres, au prétexte de la souveraineté de ces derniers.

Le populisme et le nationalisme sont en hausse – utilisés comme un cri de ralliement par des dirigeants politiques incapables de répondre aux besoins de leurs sociétés, qui sont, par conséquent, déchirées par des inégalités socio-économiques radicales.

A l’occasion des anniversaires de la Déclaration universelle des droits de l’Homme (10 décembre 1948) et de la Déclaration internationale sur les défenseurs des droits de l’Homme (9 décembre 1998), unissons-nous – mouvements citoyens et organisations de la société civile – pour consolider les trois piliers essentiels d’un ordre public mondial basé sur les droits humains : la défense des normes universelles des droits humains ; la protection des défenseur-e-s ; le renforcement des institutions indépendantes qui veillent au respect des droits humains. Ces trois éléments constituent la boussole qui nous oriente et nous guide vers des sociétés épanouies où la dignité de chacune et chacun est respectée et défendue.

Paris, le 10 décembre 2019

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