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Publié par LDH49

 

La LDH mène une réflexion approfondie sur ce sujet d’actualité tant au niveau national que local. Nous proposons à nos lecteurs une série de quatre articles sur ce sujet rédigés par Clémentine Denis, qui dans le cadre de ses études de Droit, vient de terminer un stage à la LDH 49. Voici le dernier d’entre eux:

 

Le modèle français en matière de fin de vie
 - quelle dignité ailleurs ?

« Faible et lâche, qui a pour raison de mourir la souffrance ; insensé, qui vit pour souffrir », disait Sénèque dans ses Lettres à Lucilius. La loi française dite Léonetti du 22 avril 2005 visait précisément à lutter contre le maintien artificiel de la vie, l’obstination déraisonnable et sauvegarder la dignité du patient « mourant ». Le médecin peut alors dispenser au patient des soins palliatifs pour lui permettre d’alléger ses souffrances. La loi du 2 février 2016 dite Claeys-Léonetti est venue compléter ce cadre légal. Désormais, les actes de prévention, d’investigation ou de soins, que toute personne a droit de recevoir, « ne doivent pas être mis en œuvre ou poursuivis lorsqu’ils résultent d’une obstination déraisonnable. La nutrition et l'hydratation artificielles constituent des traitements qui peuvent être arrêtés conformément au premier alinéa du présent article. »

L’un des grands principes du droit français de la santé est celui d’autonomie de la personne. A ce titre, il est nécessaire pour le médecin d’obtenir un consentement libre et éclairé. La question se pose alors : que faire lorsque la personne n’est pas en état d’exprimer sa volonté ? Préalablement, celle-ci peut avoir désigné dans un acte écrit une personne de confiance. A défaut, elle peut avoir émis ses souhaits par le biais des directives anticipées. Dans le cas contraire, sa famille sera consultée, puis ses proches.

L’affaire Vincent Lambert présenterait le cas dit « d’obstination déraisonnable » si son traitement était maintenu pour le Conseil d’Etat le 24 juin 2014. Toutefois, M. Lambert n’est pas en état d’exprimer sa volonté et il vit aujourd’hui grâce à des perfusions qui l’hydratent et l’alimentent, sans qu’aucune amélioration ne soit possible selon les groupes d’experts. La famille se déchire et les recours pour l’arrêt des soins, pour la reprise des soins, s’enchainent ...

En droit français, nous ne sommes pas dans le cadre du suicide assisté suisse, ni de l’euthanasie active belge. Nous pouvons parler, dans une certaine mesure, d’une euthanasie passive : le fait de provoquer volontairement la mort d’autrui par la cessation des soins qui le maintiennent en vie et ce, dans le but « d'avoir une fin de vie digne ». Quant à la comparaison avec le droit belge et le droit suisse, il ne s’agit pas ici des diverses pratiques relatives à la fin de vie, mais bien de la question du consentement dans le cadre de l’arrêt des soins.

Chez nos voisins belges, en 2002, trois lois différentes sur la fin de vie ont été adoptées relatives : à l’euthanasie, aux soins palliatifs et aux droits du patient. C'est la loi du 22 août 2002, portant sur les droits du patient qui aurait pu s'appliquer à Vincent Lambert. L'ancien infirmier n'ayant pas rédigé de déclaration de refus de traitements, la loi belge est effectivement précise (article 14 alinéa 2) :

« Si le patient n'a pas désigné de mandataire ou si le mandataire désigné par le patient n'intervient pas, les droits fixés par la présente loi sont exercés par l'époux cohabitant, le partenaire cohabitant légal ou le partenaire cohabitant de fait.

Si cette personne ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut, les droits sont exercés, en ordre subséquent, par un enfant majeur, un parent, un frère ou une sœur majeurs du patient.

Si une telle personne ne souhaite pas intervenir ou si elle fait défaut, c'est le praticien professionnel concerné, le cas échéant dans le cadre d'une concertation pluridisciplinaire, qui veille aux intérêts du patient.

Cela vaut également en cas de conflit entre deux ou plusieurs des personnes mentionnées dans le présent paragraphe. »

La loi belge met donc en place un ordre clair quant au consentement relatif à l’arrêt des soins : le patient, son époux ou partenaire cohabitant, puis son enfant majeur, un parent, un frère ou une sœur majeurs du patient.

Chez nos voisins suisses maintenant, il existe également une hiérarchie dans l’ordre du consentement pour l’arrêt des traitements. Le Code civil suisse de 1907 dispose ainsi en son article 370 relatif aux directives anticipées du patient que : « Toute personne capable de discernement peut déterminer, dans des directives anticipées, les traitements médicaux auxquels elle consent ou non au cas où elle deviendrait incapable de discernement. » Tout comme en droit belge, il est possible pour elle de désigner une personne de confiance dans ses directives anticipées qui consentira ou non aux traitements si elle devenait incapable de discernement. En cas d’incapacité de discernement et de consentement du patient, il faut se retourner vers l’article 378.B du Code civil :

« Sont habilités à représenter la personne incapable de discernement et à consentir ou non aux soins médicaux que le médecin envisage de lui administrer ambulatoirement ou en milieu institutionnel, dans l’ordre:

1. la personne désignée dans les directives anticipées ou dans un mandat pour cause d’inaptitude;

2. le curateur qui a pour tâche de la représenter dans le domaine médical;

3. son conjoint ou son partenaire enregistré, s'il fait ménage commun avec elle ou s'il lui fournit une assistance personnelle régulière;

4. la personne qui fait ménage commun avec elle et qui lui fournit une assistance personnelle régulière;

5. ses descendants, s'ils lui fournissent une assistance personnelle régulière;

6. ses père et mère, s'ils lui fournissent une assistance personnelle régulière;

7. ses frères et sœurs, s'ils lui fournissent une assistance personnelle régulière. »

Là encore, concernant l’arrêt des soins, l’ordre des représentants du patient est précis. On pourra alors critiquer le droit français pour l’absence de clarté quant aux représentants du patient que le médecin doit écouter en cas de conflit au sein de la « famille ». Alors, comment sauvegarder la dignité du patient « mourant » pour ce dernier ?

Dans ce conflit dépassant le seul cadre familial et illustrant le véritable conflit de valeurs propre à la bioéthique, la LDH a donc voté lors du 90ème Congrès. Il s’agit de nouveaux enjeux chez nous, vieux de plus d’un siècle en Suisse, mieux encadrés en Belgique. La discussion ne s’arrête pourtant pas à nos seules frontières, bien évidemment. L’émotion provoquée par l’histoire de la jeune Noa, hollandaise s’étant « laissée mourir » chez elle, interroge toujours et encore sur la question de la fin de vie. Comment concilier au mieux les intérêts et valeurs en jeu pour le législateur ?

La LDH a tranché. Le projet de résolution « Conforter la perspective d’une bioéthique pour toutes et tous autour de cinq principes » a été adopté le 10 juin 2019 avec 280 voix pour, 3 contre et 14 abstentions. Cette résolution rappelle que : « Jamais, dans toute l’histoire de l’humanité, l’espèce humaine n’a eu au degré de puissance actuel la capacité de modeler les conditions de sa reproduction, de sa santé, du décès, de ses devenirs possibles. Cette nouvelle donne, qui ne cesse de faire reculer les limites du faisable, ouvre des perspectives vertigineuses, où se côtoient le meilleur, le pire et une multitude d’interrogations renouvelées sur le sens de la vie, ses limites, ses finalités. » L’intérêt porté par la LDH sur la révision de la loi relative à la bioéthique est réfléchi et vise à promouvoir une approche démocratique, égale, dans le respect de la personne, contre la marchandisation de l’être humain et pour la liberté et l’indépendance de la recherche menée dans le respect des règles éthiques.

La LDH s’est ainsi prononcée, à titre d’exemple, en faveur de :

- L’évolution de la loi sur la fin de vie afin de répondre aux demandes d’aide à mourir des personnes atteintes d’une affection grave et incurable, capables de discernement, avec des procédures protégeant des abus et manipulations. Elle demande simultanément un investissement sans précédent en faveur des soins palliatifs, leur déploiement sur l’ensemble du territoire, les formations nécessaires des professionnels de santé comme des aidants ;

Mais aussi de :

- L’ouverture et l’accès à l’assistance médicale à la procréation de toutes les femmes quelles que soient leur situation familiale ou leur orientation sexuelle ;

- L’interdiction de toute intervention hormonale ou chirurgicale non nécessaire médicalement sur les enfants intersexes, avant que ceux-ci ne soient capables d’exprimer leur choix.

Concernant la fin de vie, il a été souligné lors du Congrès national qu’il est encore bien trop tôt pour se positionner. Ces questions d’avenir méritaient cette attention. « Les considérations que la LDH présente dans cette résolution s’inscrivent dans un temps long et un projet de société cohérent, respectueux simultanément des principes d’éthique, et des droits de l’Homme, cadre indispensable pour traiter les enjeux de bioéthique. »

 

Voir la résolution adoptée en Congrès le 10 juin 2019 :

Résolution bioéthique LDH

Pour aller plus loin - sources :

https://www.cairn.info/revue-d-ethique-et-de-theologie-morale-2014-3-page-53.htm

 https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2010-2-page-125.htm

https://www.erudit.org/fr/revues/fr/2011-v24-n1-2-fr0357/1013087ar.pdf

 https://www.ieb-eib.org/ancien-site/pdf/l-20020822-droits-du-patient.pdf

 https://www.juritravail.com/Actualite/euthanasie/Id/287974

https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000446240&dateTexte=&categorieLien=id

 

Télécharger l’article en pdf

 

Lire le premier article : Regards croisés – Bioéthique et fin de vie

Lire le second article : Regards croisés – Bioéthique et fin de vie (Partie 2)

Lire le troisième article : Regards croisés – Bioéthique et fin de vie (Partie 3)

 

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