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Publié par LDH49

 

La LDH mène une réflexion approfondie sur ce sujet d’actualité tant au niveau national que local. Nous proposons à nos lecteurs une série de quatre articles sur ce sujet rédigés par Clémentine Denis, qui dans le cadre de ses études de Droit, vient de terminer un stage à la LDH 49. Voici le troisième d’entre eux:

 

Le modèle suisse du suicide assisté - de la culpabilité à la compassion.

« Celui qui, poussé par un mobile égoïste, aura incité une personne au suicide, ou lui aura prêté assistance en vue du suicide, sera, si le suicide a été consommé ou tenté, puni d'une peine privative de liberté de cinq ans au plus ou d'une peine pécuniaire. » C’est par cette disposition du Code pénal suisse, son article 115 plus précisément, que la loi fédérale suisse sanctionne l’incitation et l’assistance au suicide pour motif égoïste. C’est également par cette disposition qu’elle autorise le suicide assisté pour tout autre motif. Car c’est bien du respect du principe nulla poena sine lege (nulle peine sans loi) dont il s’agit ici : à défaut de sanctionner une pratique, la loi fédérale suisse permet sa mise en œuvre.

Mais depuis quand ? Il faut remonter à la fin du 18ème siècle pour connaitre en Suisse les premiers débats relatifs au suicide et à son assistance, débats plus actifs tout au long du 19ème siècle. Contrairement aux « débats actuels centrés sur l’autonomie du patient face à la maladie grave et à la mort », la loi suisse sur le suicide assisté est issue d’un « vieux » changement de conception. Le « suicidaire » n’est alors plus perçu comme un criminel mais bien comme un malade, souffrant. Il se développe un sentiment de compassion à son égard. Il n’est plus coupable ; il est victime. La question de la légalisation d’une assistance à cet état de douleur remonte aux débats des travaux préparatoires du Code pénal suisse au début du 20e siècle. Le Conseil fédéral, dans son élaboration du Code pénal en 1918, prévoyait déjà cette légalisation dans les mêmes termes. En 1937 enfin, le Code pénal suisse est adopté, avec le fameux article 115, et entre en vigueur le 1er janvier 1941. Cette disposition n’a depuis jamais changé.

Le modèle suisse du suicide assisté repose donc sur l’absence d’une pénalisation de l’acte, mais aussi sur le développement d’institutions juridiques et médicales, ainsi que la mobilisation de nombreuses associations.

 

Le rôle de l’Académie suisse des sciences médicales et des cantons suisses.

La loi fédérale suisse s’arrêtant au seul article 115, ce sont notamment l’Académie suisse des sciences médicales (ASSM) et les cantons suisses eux-mêmes qui ont développé et continuent de construire un cadre éthique et légal.

L’ASSM est reconnue comme « institution de promotion et de la recherche ». Créée en 1943, elle réfléchit sur les questions éthiques, un peu comme « notre » comité consultatif national d’éthique. Sa commission centrale d’éthique participe notamment à l’essor du code déontologique de la Fédération des médecins suisses. Par exemple, en juin 2018, l’ASSM décide d’actualiser ses directives de 2004 sur « l’Attitude face à la fin de vie et à la mort ». Le médecin peut désormais prescrire une dose de substance létale à une personne si celle-ci a une « souffrance insupportable due à des symptômes de maladie et/ou à des limitations fonctionnelles » et non plus seulement dès lors qu’elle est en « fin de vie ». Ainsi, du fait de l’absence de législation fédérale sur les droits du patient en fin de vie en Suisse, les directives médico-éthiques de l’ASSM vont s’appliquer.

En revanche, concernant la santé publique, ce sont les cantons qui vont légiférer. Tous ne l’ont pas fait. Le canton de Vaud a été le premier à adopter une loi sur l’aide au suicide et notamment ses « Directives d'application de la loi sur la santé publique sur l'assistance au suicide en établissement sanitaire reconnu d'intérêt public ». Entrée en vigueur en 2013, la loi permet l’encadrement du suicide assisté :

- Le patient doit être « capable de discernement pour ce qui est de sa décision de se suicider et persiste dans sa volonté de se suicider » ;

- Le patient doit souffrir « d’une maladie ou de séquelles d’accident, graves et incurables ».

Après Vaud, Genève et Neuchâtel, le Valais pourrait être le suivant. A ce titre, pour la commission de la santé du grand conseil valaisan : « Légiférer revient aussi à restreindre le champ d'action d'associations comme Exit dans les institutions valaisannes ».

 

Le rôle des associations privées.

En effet, depuis le début des années 1980 se sont développées parallèlement diverses associations dont le but est d’assurer « le droit de mourir dans la dignité ». La plus connue, EXIT, est fondée en 1982. On décompte 5 associations :

1. EXIT ADMD Suisse romande ;

2. EXIT ADMD Suisse alémanique ;

Elles n’acceptent que les résidents suisses.

3. Dignitas ;

Elle est membre de la Fédération mondiale des associations pour le droit à mourir, aux côtés de l'Association pour le droit de mourir dans la dignité (ADMD), principale association française pro-euthanasie et pro-suicide assisté. Elle accepte des résidents étrangers.

4. Ex-International

5. Life Circle

Elles acceptent des résidents étrangers.

Dans les faits, l’assistance au suicide est mise en oeuvre par ces associations, et non pas par des médecins. Véritable acte privé toléré par l’Etat fédéral, l’absence de conditions médicales ouvre la porte à une assistance au suicide très permissive.

A titre d’exemple, parlons d’EXIT ADMD Suisse romande. Celle-ci « dans le respect des lois en vigueur et soutenue par une majeure partie de la population suisse, défend :

- Le droit pour chacun de choisir sa manière de vivre les dernières étapes de sa vie.

- Le droit du malade d’être maître des dernières étapes de sa maladie.

- Le droit à une mort digne et humaine. »

Pour chaque association, il existe divers critères d’acceptation. Chez EXIT ADMD Suisse romande :

- Le domicile principal doit être établi sur territoire Suisse.

 - Être majeur, donc avoir 18 ans révolus.

- Disposer de sa capacité de discernement.

- Être atteinte soit d’une maladie incurable, soit de souffrances intolérables, soit de polypathologies invalidantes liées à l’âge.

Le dossier de la personne souhaitant avoir recours à la procédure doit tout d’abord être examiné par un médecin-conseil. C’est ce médecin-conseil qui prescrit l’ordonnance du produit servant à donner la mort. Puis, la personne est invitée à un rendez-vous afin « d’évaluer plus finement la situation, de valider la demande si les conditions sont remplies, de répondre aux questions et d’expliquer l’aspect pratique d’une assistance au suicide ». Elle rencontre alors son accompagnateur.

Le jour de l’assistance, plusieurs conditions doivent à nouveau être remplies :

- Elle doit avoir la capacité de « faire le geste », c’est-à-dire être en mesure d’ingérer la solution létale d’elle-même en tenant le verre ou à l’aide d’une paille. En cas d’impossibilité, il est possible d’utiliser une voie veineuse (perfusion) du temps que la personne demandeuse à la capacité physique d’ouvrir le robinet ou d’actionner la molette de débit.

- Elle doit disposer de son discernement et pouvoir confirmer avec détermination et clarté son choix de mourir.

- Elle doit être en présence d’une personne témoin durant l’autodélivrance et ce, jusqu’à l’arrivée de la police. Il s’agit généralement d’un proche ou membre de la famille. Il n’y a pas de limite supérieure concernant le nombre de personnes présentes.

L’accompagnateur, depuis le jour de la première rencontre, a un rôle essentiel dépassant le moment du décès de la personne : il s’occupera également des démarches auprès de la police et du médecin qui constatera le décès. Il restera également disponible pour les proches qui auraient besoin « de partager ou d’évoquer le décès de l’être cher ».

Dans ce contexte de flou et de vide juridique, le droit suisse ne manque pas de critiques. De fait, la Cour européenne des droits de l’Homme a jugé le 14 mai 2013 que les directives établies par une académie de médecine (ASSM) n’ont pas valeur de loi et qu’à ce titre, elles ont « un effet dissuasif sur les médecins et ont du engendrer une inquiétude considérable chez la requérante » qui souhaitait avoir recours au suicide assisté auprès d’un médecin. On ne s’étonnera alors pas du nombre sans cesse croissant de personnes ayant recours aux associations privées telles qu’EXIT.

En 2018, Exit Suisse alémanique a pris en charge 905 personnes, soit 172 de plus qu’en 2017 (+23%). La moyenne d’âge des demandes est de 77,5 ans : ce sont donc principalement les seniors qui ont recours au suicide assisté. Force est de constater que la loi fédérale suisse a donc fait son choix : ne pas sanctionner celui qui souffrant, souhaite dignement s’en aller.

https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19370083/index.html

https://www.alliancevita.org/2018/06/suisse-directives-elargir-laide-suicide/

https://www.cairn.info/revue-etudes-sur-la-mort-2016-2-page-79.htm#pa5

https://www.cairn.info/revue-sciences-sociales-et-sante-2018-4-page-93.htm

https://www.ieb-eib.org/fr/document/affaire-gross-c-suisse-suicide-assiste-368.html

https://journals.openedition.org/droitcultures/4424

https://www.letemps.ch/suisse/exit-impose-loi

https://www.letemps.ch/suisse/suicide-assiste-forte-hausse-nombre-dappels-exit-surtout-suissealemanique

https://www.rts.ch/info/regions/valais/10375039-vers-le-droit-au-suicide-assiste-dans-lesetablissements-de-sante-du-valais.html

https://www.samw.ch/fr/Ethique/Ethique-en-fin-de-vie/Directives-attitude-fin-de-vie-mort.html

 

Télécharger l’article en pdf

 

Lire le premier article : Regards croisés – Bioéthique et fin de vie

Lire le second article : Regards croisés – Bioéthique et fin de vie (Partie 2)

 

 

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