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Publié par LDH

Lettre ouverte signée par Malik Salemkour, président de la LDH, Agnès Tricoire, coresponsable de l’Observatoire de la liberté de création, et Michel Tubiana, président d’honneur de la LDH.

Dans une lettre ouverte, un collectif demande aux leaders des démocraties d’intervenir pour la libération du cinéaste, qui a mené une grève de la faim pendant cinq mois pour attirer l’attention sur le sort des Ukrainiens indûment détenus en Russie. Face au silence du Kremlin, il est temps que les dirigeants européens se mobilisent, estiment-ils.

En 1980, Andreï Sakharov est exilé dans la ville fermée de Gorki pour avoir alerté le monde du danger que représentait l’URSS. Assigné à résidence et surveillé en permanence par le KGB, il est coupé du monde par le pouvoir soviétique durant plusieurs années, pendant lesquelles il effectuera deux grèves de la faim et sera torturé, intubé et nourri de force. Il faudra la perestroïka (restructuration) et la glasnost (transparence) en 1986, pour que Mikhaïl Gorbatchev mette fin à son exil et à son calvaire.

Cela n'empêche pas un autre dissident russe, Anatoli Martchenko, de mourir dans sa cellule la même année, le 8 décembre 1986, après onze ans d'emprisonnement et une grève de la faim de 117 jours. Son crime était d'avoir révélé dans un livre la réalité des camps de travail soviétiques. Il disait notamment : "La seule possibilité de lutter contre le mal et l'illégalité consiste à mon avis à connaître la vérité."

Cette vérité a fissuré puis fait tomber les murs. L’URSS a laissé place à la Russie, l’Ukraine, la Géorgie, les Républiques Baltes... Pourtant, c’est toujours pour les mêmes raisons que le cinéaste ukrainien Oleg Sentsov a entamé une grève de la faim illimitée le 14 mai 2018 : Faire connaître la vérité, alerter le monde.

La vérité, c'est qu’au XXIe siècle, Oleg Sentsov, ce jeune cinéaste, auteur d'un premier film repéré par les grands Festivals européens de cinéma, père de deux enfants, a disparu le 10 mai 2014 alors qu’il sortait de chez lui, enlevé par les services secrets dans sa Crimée natale, ce morceau d'Ukraine que les Russes venaient brutalement d'annexer. La vérité, c’est qu’il a été battu et torturé, emprisonné en Russie et condamné un an plus tard à vingt ans de prison, à la suite d’un procès dénoncé comme « stalinien » par Amnesty International.

La vérité, c'est que près de soixante-dix autres Ukrainiens sont indûment détenus en Russie. La grande majorité d’entre eux viennent de Crimée, beaucoup sont Tatars, et ont été - comme Oleg Sentsov - enlevés et « nationalisés » de force pour pouvoir être condamnés et emprisonnés en Russie. Certains attendent toujours leur procès, les autres ont écopé de très lourdes peines de prison à "régime sévère" -, la plupart suite à des procès truqués, sur la foi de témoignage obtenus sous la torture. Des procès « pour l'exemple ».

Les cinéastes et les intellectuels ont beau se mobiliser dans le monde entier, y compris en Russie avec les risques que cela comporte, Vladimir Poutine reste inflexible. Il faut dire que depuis vingt ans, il aura eu tout le temps de mesurer les faiblesses et les lâchetés des démocraties, qui lui ont laissé les mains libres en Tchétchénie puis en Géorgie, en Crimée, en Syrie... Alors pourquoi reculerait-t-il si personne n’ose même le lui demander ?

Du fond de sa cellule, Oleg Sentsov a compris que les otages ukrainiens du Kremlin étaient seuls au monde. Il a alors décidé de reprendre son destin en main et n’ayant pour arme que son seul corps, de commencer une grève de la faim illimitée. Pour souligner un peu mieux encore la dimension politique de son action, il a demandé la libération de tous les prisonniers politiques ukrainiens détenus en Russie, sans demander la sienne.

Mais la portée de son geste, d’un courage inouï, va bien au-delà, puisqu’il oblige l’Europe et plus largement le monde à ne pas oublier l’Ukraine, la Crimée, le Donbass. Il nous alerte, comme l’avaient fait hier Martchenko et Sakharov à propos de l’URSS, sur les dangers que fait courir la Russie de Poutine à la démocratie et à ses valeurs : liberté, respect des peuples, paix...

Le Parlement européen ne s’y est pas trompé et, au citoyen d’honneur de la ville de Paris qu’Oleg Sentsov était déjà, il a décerné le 23 octobre dernier le Prix Sakharov, accompagné de la déclaration suivante : «Grâce à son courage et à sa détermination, et en mettant sa vie en danger, le réalisateur Oleg Sentsov est devenu un symbole de la lutte pour la libération des prisonniers politiques en Russie et dans le monde entier. En lui décernant le prix Sakharov, le Parlement européen lui exprime sa solidarité et soutient sa cause. Nous demandons sa libération immédiate. »

Nous attendons désormais que ce symbole fort qu’est le Prix Sakharov se traduise en actes politiques.

Demain, à l’invitation d’Emmanuel Macron, cent chefs d’État - dont Vladimir Poutine - seront réunis à Paris pour le centième anniversaire de l’armistice marquant la fin de la première guerre mondiale.

Alors que partout, les nationalismes reviennent en force, nous rappelant les heures les plus sombres du XXème siècle, nous exhortons les chefs d’Etat et de gouvernement des démocraties à utiliser tous les moyens qui sont à leur disposition pour contraindre la Russie à respecter le droit international : réclamer une enquête au Conseil des droits de l’Homme de l’ONU, élargir les accords de Minsk pour permettre un échange de prisonniers dont Oleg Sentsov ferait partie, obtenir la condamnation de la Russie par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui s’est déjà reconnue compétente pour juger cette affaire.

Si aucune de ces voies n’aboutit, il sera temps de voter une loi au niveau de l’Union européenne permettant de sanctionner les responsables du sort d’Oleg Sentsov. Une telle loi existe déjà dans plusieurs pays (Etats-Unis, Estonie, Lituanie, Royaume Uni, Canada…) c’est la loi Magnitsky – ainsi nommée en hommage à l’une des victimes du système prédateur mis en place par Poutine. Il suffira que l’Europe l’adopte à son tour pour pouvoir sanctionner lourdement les bourreaux d’Oleg Sentsov et des autres otages ukrainiens.

Au 100e anniversaire de la fin de la première guerre mondiale, ce jour de paix entre les peuples, nous exhortons les chefs d'État et de gouvernement des démocraties à obtenir de Vladimir Poutine qu'il s’engage à libérer immédiatement et sans condition Oleg Sentsov et les autres prisonniers politiques ukrainiens.

Qu’il les laisse rentrer chez eux.

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