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Rapport moral de la LDH

La LDH a tenu le samedi 11 juin sa 8ème convention nationale.

Nous publions ici le rapport moral, présenté par sa présidente, Françoise Dumont

Juin 2015 - mars 2016 : état d’urgence pour les droits et pour les libertés

Françoise DumontLe rapport moral de notre dernier congrès réaffirmait dans sa conclusion la pertinence et l’urgence de construire collectivement une société de solidarité, d’égalité des droits, de garanties effectives des libertés de chacune et de chacun. C’est, au fond, le fil rouge de l’action menée par la LDH depuis sa création. Nous savions que la proximité des élections présidentielles asphyxierait le débat politique, dans un climat marqué par un désenchantement croissant, une dégradation continue de l’image de l’exécutif au point de battre des records d’impopularité, tout cela sur un fond de tensions sociales croissantes, comme le montre la mobilisation contre la loi El Khomri. La feuille de route que nous nous sommes donnée au Mans a été toutefois fortement impactée par deux éléments essentiels :

- la crise migratoire, avec ses conséquences pour la France mais aussi pour Europe ;


- les attentats de novembre et les mesures prises ensuite par l’exécutif.

Photo du petit Aylan retrouvé noyé sur une plage de Turquie, images de ces réfugiés fuyant sur les routes ou parqués derrière des barbelés, passage en boucle des reportages sur les terribles attentats terroristes de novembre... Les mois qui viennent de s’écouler ont été placés sous le signe de l’émotion. Celle-ci a fait appel à ce qu’il y a de meilleur en nous, mais, vite instrumentalisée, elle pesé sur une opinion publique confrontée à un brouillage croissant des repères traditionnels en matière de clivage gauche/droite. Dans ce contexte, nous avons voulu constamment construire des ripostes unitaires, avec à chaque fois, le souci de rassembler autour des valeurs universalistes et d’articuler ces ripostes à un horizon plus large de défense des libertés, de promotion des droits et de la démocratie.

Cette bipolarisation de l’actualité n’a pas empêché la LDH de continuer à déployer son activité d’association généraliste sur une multitude d’autres terrains : contre la progression de l’extrême droite, telle qu’elle a pu se vérifier lors des élections régionales, sur les questions de lutte contre toutes les formes de racisme, d’anti-sémitisme et d’islamophobie, sur la dénonciation des discriminations dont font l’objet les Roms, sur l’escalade de la violence policière, avec, en particulier, le rapport sur la mort de Rémi Fraisse, et, de manière un peu nouvelle, sur les questions de développement durable.

Le rapport du secrétaire général témoigne aussi de cette activité foisonnante, menée avec différents partenaires et à plusieurs occasions avec l’AEDH, avec laquelle nous entretenons des liens étroits. Activité qui doit aussi beaucoup à l’investissement des régions, fédérations et sections.

Instabilité du monde et mouvements migratoires

La question migratoire couvait depuis des années, dans un contexte où, depuis le milieu des années 1980, « l’immigration » est devenue progressivement un « problème » à gérer. Au cours de ces dernières années, le nombre des migrants qui, depuis l’Afrique, cherchaient à atteindre les côtes italiennes n’avait cessé de croître, les naufrages s’étaient multipliés, sans que pour autant cela émeuve les dirigeants européens et ceux des Etats membres. L’émotion ponctuelle des quatre cents morts devant Lampedusa en 2013 n’avait finalement abouti à aucune décision politique à la hauteur des enjeux humains qu’elle illustrait.

La guerre en Syrie a mis sur les routes plus de cinq millions de réfugiés, pris en tenaille entre les atrocités commises par le régime de Bachar El Assad et la barbarie de Daesh qui a multiplié ses exactions et ses attentats dans une région complètement déstabilisée. En 2015, la décision de la chancelière allemande de répondre à ce drame humain en acceptant l’accueil de centaines de milliers de réfugiés a mis l’Union européenne devant ses responsabilités en matière de migration. La réponse collective apportée est un désastre pour le respect du droit d’asile comme pour la solidarité entre Etats membres, alors même que dans plusieurs pays, la mobilisation citoyenne pour l’accueil a été exemplaire.

La crise des institutions européennes

C’est un échec en termes de réponse commune, lorsque la proposition de la Commission européenne qui vise à faire adopter par les Etats membres une répartition de cent soixante mille demandeurs d’asile est âprement discutée. Adopté après de laborieuses discussions, l’accord sera finalement mal mis en œuvre, certains pays se rétractant même de leur engagement.

Scandale lorsque, les uns après les autres, les pays de la « route des Balkans », par où passaient les réfugiés vers l’Allemagne, qui leur était ouverte, ont fermé leurs frontières à l’automne dernier. La Grèce, où les pauvres et les classes moyennes continuent de subir les politiques d’austérité imposées par l’Union européenne, se voyait ainsi mise en situation de devoir gérer seule sa situation de pays d’entrée dans l’Union européenne.

Finalement, un accord entre l’Union européenne (ses vingt-huit membres) et la Turquie a été signé : celui-ci prévoit le renvoi en Turquie des réfugiés arrivant en Grèce et, en échange, un accueil dans l’UE d’un nombre équivalent de réfugiés syriens présents en Turquie. Cet accord a pourtant rejeté par le Haut-Commissariat aux réfugiés de l’ONU, par les organisations médicales et d’aide humanitaire présentes en Grèce. En effet, il contrevient au traitement individuel correct des dossiers de chaque réfugié, tel que prévu par le droit d’asile. Il caractérise la Turquie comme un pays où les réfugiés bénéficieraient de l’application du droit d’asile, alors que ce n’est pas le cas. En particulier, la Turquie renvoie des réfugiés en Syrie, dans des zones de conflits.

Cette vague migratoire, composée de migrants qui fuient la guerre, les régimes dictatoriaux mais aussi la misère, aurait dû conduire l’UE à remettre à plat le système d’asile européen en commençant par suspendre l’application du règlement Dublin, quelle que soit la nationalité du demandeur d’asile. Non seulement, il n’en a rien été, mais c’est le droit d’asile lui-même qui est régulièrement bafoué.

Notre revendication de suspension du règlement de Dublin, avec l’exigence d’un débat national sur les questions migratoires, faisait partie de celles que nous avons portées lors de l’appel unitaire que nous avons lancé en septembre 2015, « Asile ! C’est un droit ! ». C’est aussi sur la base de cet appel, signé par une trentaine d’organisations, que nous avons mobilisé lors de nombreux rassemblements en France.

Le traitement de la vague de réfugiés par les instances européennes met en lumière le manque de projet politique commun qui fait aujourd’hui de l’Europe une association qui ne repose que sur les petits intérêts économiques de chacun.

Il illustre aussi le combat engagé entre les valeurs universelles, sur lesquelles le projet européen était censé se construire, et la montée de populismes réactionnaires qui trouvent des relais jusque dans les gouvernements de plusieurs Etats membres. Le combat que nous menons en France sur l’accueil des migrants est donc pleinement inclus dans un combat à dimension européenne.

La dérobade de la France

Le gouvernement français a d’abord refusé de s’engager à accueillir un nombre précis de réfugiés, évoquant d’inadmissibles « quotas », mais finalement, la France s’est engagée pour en accueillir trente mille d’ici à mi-2017.

Pour répondre à un afflux de réfugiés qui n’a jamais eu lieu puisqu’aujourd’hui seuls quelque trois cents d’entre eux sont arrivés sur le sol français, le gouvernement français a promis, en juin 2015, de créer un peu plus de dix mille nouvelles places d’accueil, soit en logements, soit en centres d’accueil pour demandeurs d’asile.

Même s’il convenait d’en prendre acte, ce plan ne pouvait être qu’insuffisant compte tenu des carences structurelles en matière d’accueil des migrants. Lors du lancement du dispositif, le ministre de l’Intérieur n’a eu de cesse de rappeler sa volonté de faire preuve d’« humanité » mais aussi de « fermeté », et nous n’avons pas manqué de dénoncer le « deal » qui nous était proposé, puisqu’il s’agissait de mieux accueillir les migrants demandeurs d’asile pour mieux renvoyer chez eux les migrants dits « économiques irréguliers ».

Nous rejetons cette opposition de principe entre deux catégories figées et qui traduit une vision binaire et simpliste des migrations actuelles, liées à toutes sortes de déséquilibres dans un monde globalisé.

Sur le sol français, la « crise » des migrants s’est aussi traduite par l’évacuation plus ou moins musclée de nombreux campements, notamment à Paris, avec des migrants mis à la rue ou dans des structures d’hébergement au rabais dispersées dans toute l’Ile-de-France. Cela s’est traduit aussi par l’évacuation de la « jungle » de Calais.

Sur Calais, nous n’avons cessé de dénoncer – par plusieurs communiqués, par une lettre ouverte au président de la République – les conditions indignes dans lesquelles vivaient plus de six mille personnes. Ces conditions nous ont conduits à nous associer à la démarche entreprise par le Secours catholique, Médecins du monde et six demandeurs d’asile, en référé-liberté devant le tribunal administratif de Lille. Le jugement rendu le 2 octobre est à saluer puisqu’il donnait à l’Etat français quarante-huit heures pour respecter ses engagements internationaux vis-à-vis des mineurs isolés et pour améliorer sensiblement les conditions d’hygiène dans la « jungle ».

Au-delà de ces mesures, il faut rappeler que depuis bientôt vingt ans, les problèmes rencontrés dans le Calaisis sont largement liés aux règles d’entrée sur le territoire britannique, que la France et l’UE ont négociées avec le Royaume-Uni. Ce n’est sûrement pas en proposant vingt-deux millions d’euros à la France, pour que celle-ci joue les gardes-chiourmes, que les problèmes se règleront.

Faute d’une prise en compte de ces accords scandaleux, les démantèlements de la zone se succèderont, tantôt dans une certaine improvisation, tantôt de manière planifiée, mais cette politique des bulldozers ne fera que déplacer le problème et Calais continuera d’être le révélateur de la désunion européenne en matière migratoire.

Une législation toujours plus restrictive

Sur le plan législatif, la période écoulée a aussi été marquée par le vote définitif de deux lois (loi asile du 31 juillet 2015 et loi du 7 mars 2016 réformant le Ceseda).

En ce qui concerne la réforme de l’asile, cette nouvelle loi était supposée répondre à la nécessité de transposer, dans le Ceseda, les directives européennes sur l’asile. Dans les faits, et au-delà de ces transpositions « a minima », elle vise essentiellement à permettre une accélération des procédures de reconduite à la frontière pour un nombre toujours croissant d’étrangers déboutés.

Quant à la loi réformant le Ceseda, nous l’avons dénoncée parce qu’elle s’inscrit globalement dans les mêmes logiques que les lois mises en place par la précédente majorité, les aggravant même parfois. Les durées de validité de la carte de séjour ont certes été allongées (sans pour autant rétablir les titres de dix ans) et cela est bénéfique pour lutter contre la précarité des titres et donc des situations des personnes. En revanche, la loi instaure des modifications importantes du contentieux des étrangers (avec des assignations à résidence systématiques et des interpellations à domicile autorisées) et un principe de surveillance permanente, ouvrant une brèche dangereuse sur la levée du secret professionnel dans des secteurs essentiels de la vie du citoyen.

Par ailleurs et malheureusement comme toujours, cette loi a fait perdurer en outre-mer le champ d’un régime d’exception, qui prévoit une protection juridique au rabais comparée à celle applicable en métropole. Ainsi des dérogations sont prévues dans ces territoires afin de limiter les possibilités d’accès au juge des étranger-e-s sous le coup d’une mesure d’éloignement, et les forces de l’ordre sont dotées de moyens spéciaux pour interpeller les étrangers ou dissuader ceux qui les aident.

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