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Publié par LDH49

La mémoire et l’oubli

Tribune de Patrick Baudouin, président de la LDH, publiée sur Médiapart

LIRE LA TRIBUNE SUR MEDIAPART

A l’occasion de l’entrée au Panthéon de Missak Manouchian, avec son épouse Mélinée, Emmanuel Macron a prononcé le 21 février 2024 un discours dans lequel il a célébré ces « étrangers et nos frères pourtant, Français de préférence, Français d’espérance », honoré au travers des centaines de combattants et otages fusillés dans la clairière du Mont-Valérien « cette jeunesse étrangère, juive, communiste, résistante, jeunesse de France gardienne d’une part de la noblesse du monde », salué l’ivresse des rêves français, universels, du natif  d’Arménie, « l’Europe fraternelle, l’idéal communiste, la justice, la dignité, l’humanité ». Lors d’un hommage national rendu le 15 avril à l’écrivaine guadeloupéenne Maryse Condé, le président de la République a salué une écrivaine qui « vivait en République à sa manière, sans récuser son passé de lutte, sans démentir non plus tout à fait ce que son destin de femme portait irréductiblement d’espérance républicaine. Une belle enfant de la République, comme la belle enfant de la migration des cœurs surmontant la malédiction et l’assignation ».

Pourtant, en absolue contradiction avec ces belles déclarations, c’est le même chef de l’Etat qui se félicite de l’adoption d’une loi sur l’asile et l’immigration teintée de xénophobie dont l’essentiel du dispositif consiste à entraver l’accès des étrangers au territoire français et à faciliter leur expulsion, ce tout en laissant entretenir plus largement un climat de stigmatisation de la population immigrée.

Le 14 février 2024, pour l’hommage national à Robert Badinter, Emmanuel Macron toujours aussi lyrique, évoquant les morts qui vous écoutent, a rappelé que ceux qui écoutaient le Garde des Sceaux en 1981 lors du débat sur l’abolition de la peine de mort à l’Assemblée nationale s’appelaient « Jaurès, Clémenceau, Briand, Camus, Hugo ».
Elevant Robert Badinter « conscience morale que rien n’efface » au rang de ces morts qui nous écoutent, il a souligné : « Vous nous quittez au moment où vos vieux adversaires, l’oubli et la haine, semblent comme s’avancer à nouveau, ou vos idéaux, nos idéaux, sont menacés : l’universel qui fait toutes les vies égales, l’Etat de droit qui protège les vies libres, la mémoire qui se souvient de toutes les vies ». Le président de la République a ajouté : « Nous faisons aujourd’hui le serment, je fais le serment, d’être fidèle à votre enseignement ».

Prendre au mot Emmanuel Macron, c’est malheureusement constater que cette formule est teintée de parjure lorsque se multiplient les atteintes à l’Etat de droit avec les interdictions de manifestations, la remise en cause de la liberté associative, l’instauration d’une police de la pensée qui menace la liberté d’expression, le déficit de démocratie politique et sociale, l’instrumentalisation de la justice à des fins politiques, le tout dans un contexte d’inégalités et de discriminations révoltantes.

Ce grand écart entre les propos et les actes se retrouve à l’échelle de la politique internationale. Un exemple peut en être donné à la suite d’une récente tribune parue dans le journal Le Monde, cosignée par Emmanuel Macron avec le président égyptien Abdel Fattah al-Sissi et le roi de Jordanie Abdallah II pour exiger le respect des résolutions de l’ONU et affirmer la volonté de faire aboutir la solution à deux Etats, israélien et palestinien. Il y est ainsi mentionné l’urgence d’une mise en œuvre inconditionnelle de la dernière résolution n°2728 du Conseil de sécurité des Nations unies, exigeant, avec la libération des otages, un cessez-le-feu immédiat et permanent à Gaza, et insistant sur la nécessité de lever les entraves apportées à l’acheminement de l’aide humanitaire pour la population palestinienne. La référence à une demande de cessation des activités de colonisation, de violence des colons, ou de colonisation des terres n’est pas oubliée. Et de façon salutaire, les signataires de la tribune réaffirment un « égal respect de toutes les vies ».

Mais, là aussi, que fait concrètement la France pour que les exigences formulées ne demeurent pas de simples vœux pieux, alors même qu’existent pourtant des moyens de pression, malheureusement inutilisés, pour contraindre Israël à cesser de violer impunément le droit international ? A l’échelle européenne, il serait ainsi possible de susciter la prise de telles mesures contraignantes, par exemple en suspendant l’accord d’association, en supprimant toute livraison d’armement, en boycottant les produits provenant des colonies, et en gelant des avoirs financiers. Or la politique française, largement illisible, se limite à quelques condamnations de principe dissimulant un soutien absolu à Israël. La confirmation d’un tel parti pris déséquilibré et néfaste est illustrée par les poursuites scandaleuses intentées sous couvert d’apologie du terrorisme contre celles et ceux qui, pourtant dans la simple lignée de la tribune susvisée, ne font que réclamer l’application du droit humanitaire international pour les Palestiniens de Gaza comme exigé dans la décision rendue le 26 janvier 2024 par la Cour internationale de justice.

Si ces contradictions d’Emmanuel Macron doivent être dénoncées, il n’y a malheureusement guère d’illusion à nourrir pour espérer le voir rectifier le cours des dérives de son pouvoir. Néanmoins, on ne peut s’empêcher de penser que le féru d’histoire serait bien inspiré de ne pas se contenter de célébrer des mémoires pour aussitôt en oublier les leçons.

Patrick Baudouin, président de la LDH

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