Traité sur l’Interdiction des armes nucléaires
Communiqué commun dont la LDH est signataire
La seconde réunion des États parties au Traité sur l’Interdiction des armes nucléaires (TIAN) s’est conclue avec succès ce vendredi 1er décembre 2023, par l’adoption d’une déclaration politique forte, qui condamne non seulement la politique de dissuasion, mais qui veut aussi montrer que ce concept sécuritaire est « loin de préserver la paix et la sécurité » car « les armes nucléaires sont utilisées comme des instruments politiques, liés à la coercition, à l’intimidation et à l’exacerbation des tensions. »
La seconde réunion des États parties au Traité sur l’interdiction des armes nucléaires (2MSP, pour meeting of states parties) s’est achevée ce 1er décembre 2023 dans une volonté très claire d’agir contre ceux qui détiennent des arsenaux nucléaires : « nous ne resterons pas spectateurs de l’augmentation des risques nucléaires et de la dangereuse perpétuation de la dissuasion nucléaire ».
Challenger le concept de dissuasion nucléaire
L’article 1.d du TIAN mentionne que les États parties s’engagent à ne jamais, en aucune circonstance : « Employer ni menacer d’employer des armes nucléaires ou d’autres dispositifs explosifs nucléaires ». Jusqu’à présent la mise en œuvre de cette interdiction apparaissait complexe puisque aucun État ne possédant des armes nucléaire ou adhérant à cette théorie de la sécurité n’est membre du traité.
Or, la déclaration « Notre engagement à respecter l’interdiction des armes nucléaires et à éviter leurs conséquences catastrophiques » ouvre un nouvel axe pour remettre en question les faux récits de la dissuasion nucléaire. En effet pour la première fois dans une enceinte multilatérale et dans un traité portant sur les armes nucléaires, des États vont travailler et présenter un argumentaire pour remettre en cause ce concept sécuritaire.
Les États considèrent (para 17) « loin de préserver la paix et la sécurité, les armes nucléaires sont utilisées comme des instruments politiques, liés à la coercition, à l’intimidation et à l’exacerbation des tensions. Le renouveau du plaidoyer, de l’insistance et des tentatives de justification de la dissuasion nucléaire en tant que doctrine de sécurité légitime donne un faux crédit à la valeur des armes nucléaires pour la sécurité nationale et augmente dangereusement le risque de prolifération nucléaire horizontale et verticale ».
Ceux-ci concluant (para 19) que « la perpétuation et la mise en œuvre de la dissuasion nucléaire dans les concepts, doctrines et politiques militaires et de sécurité non seulement érodent et contredisent la non-prolifération, mais entravent également les progrès vers le désarmement nucléaire ».
Cette critique directe vise également à réfuter toute notion d’État « nucléaire responsable » portée notamment par la France, le Royaume-Uni et les États-Unis, notant (para 15) que « la menace d’infliger des destructions massives va à l’encontre des intérêts légitimes de l’humanité dans son ensemble en matière de sécurité. Il s’agit d’une approche dangereuse, erronée et inacceptable de la sécurité. Les menaces nucléaires ne doivent pas être tolérées ».
Jamais auparavant un groupe d’États n’avait accepté de travailler ensemble pour démontrer la dangerosité de cette politique sécuritaire. Après avoir reçu de nombreuses critiques sur leur absence de compréhension de l’architecture de sécurité internationale, les États du TIAN veulent remettre en question ce paradigme de sécurité « fondé sur la dissuasion nucléaire en mettant en évidence et en promouvant de nouvelles preuves scientifiques concernant les conséquences et les risques humanitaires des armes nucléaires et en les juxtaposant aux risques et aux hypothèses qui sont inhérents à la dissuasion nucléaire ». L’Autriche a été désignée comme coordinateur du processus consultatif sur les préoccupations des États en matière de sécurité dans le cadre du TIAN.
Voilà en grande partie le travail que devra fournir (para 6) « le groupe consultatif scientifique, premier organe scientifique international créé pour faire progresser le désarmement nucléaire dans le cadre d’un traité multilatéral ». Leur premier rapport sur « l’état et l’évolution des armes nucléaires, les risques liés aux armes nucléaires, les conséquences humanitaires des armes nucléaires, le désarmement nucléaire et les questions connexes » est une première base à la fois d’information et de proposition pour faire évoluer le concept de dissuasion.
Assistance aux victimes et réhabilitation de l’environnement
Cette thématique, qui a été portée par de multiples réunions de travail présidé par le Kazakhstan, et les Kiribati – auxquels a pris par ICAN France – a été au centre de la semaine de travail, d’une part en raison de la présence de très nombreuses communautés affectées (voir l’intervention ici) et d’autre part s’est le premier axe concret qui peut être réalisé par les États parties.
Les États se sont mis d’accord pour la mise en place d’un « fonds international d’affectation spéciale des Nations unies pour l’assistance aux victimes et l’assainissement de l’environnement dans les zones contaminées par les radiations résultant de l’utilisation ou des essais d’armes nucléaires » qui sera examiné (et peut-être adopté) lors de la troisième réunion (3MSP). Le fait que ce soit le Kazakhstan qui présidera cette troisième conférence laisse supposer que tout sera fait pour que les discussions aboutissent positivement lors de ce prochian rendez-vous.
Ce fonds permettra aux États de remplir leurs obligations au titre de l’article 7 en fournissant un mécanisme de coopération et d’assistance internationales ; et sans doute à des États extérieurs au TIAN (Allemagne, Norvège, Suisse par exemple) d’être partie prenante. Il faut par ailleurs noter que ce sujet est très rassembleur à l’image du vote écrasant (171 États pour) de la résolution « Le lourd héritage des armes nucléaires : assistance aux victimes et remise en état de l’environnement dans les États Membres touchés par l’emploi ou la mise à l’essai d’armes nucléaires » (30 octobre) en première commission. La France a voté contre (avec le Royaume-Uni, la Russie et la Corée du Nord) montrant une nouvelle fois une absence totale de vision et de compréhension du sujet… à minima à l’égard de ses propres populations de Polynésie.
Outre cette décision importante, les États se doivent de poursuivre les engagements liés aux articles 6 et 7 dans le cadre du plan d’action de Vienne décidé en juin 2021 lors de la 1MSP.
On peut noter que la Nouvelle-Zélande est le premier État à publier volontairement un rapport national sur ce sujet, sur la base d’un modèle proposé notamment par les ONG et la International Human Rights Clinic de la Harward School Law.
L’atout des institutions financières
Il est nécessaire de souligner que le TIAN a un impact sur les États non membres, grâce à la pression exercée par les institutions financières qui appellent à mettre fin aux relations de financement avec l’industrie des armes nucléaires. Plus de 90 investisseurs, représentant plus de 1 000 milliards de dollars d’actifs sous gestion, ont ainsi encouragé les États à collaborer avec la communauté financière pour renforcer les normes et les objectifs du traité, notamment en mettant fin aux relations de financement avec l’industrie des armes nucléaires.
La déclaration reconnaît (para.33) « le rôle déterminant de la diversité des parties prenantes [comme] les institutions financières et mentionne (para 20) ainsi que « dans un monde où la satisfaction des besoins humains fondamentaux reste un défi, l’investissement de ressources financières considérables dans la modernisation et l’expansion des arsenaux nucléaires est indéfendable et contre-productif, car il se fait au détriment de l’investissement dans le développement durable pour un véritable bien-être humain, ainsi que dans le désarmement, l’éducation, la diplomatie, la protection de l’environnement et la santé ».
Une participation forte
Le lundi 27 novembre, les services onusiens furent débordés devant la présence de près de 500 experts et membres d’ONG qui venaient retirer leur badge d’accès à cette 2MSP ; une participation qui traduit l’intérêt et l’importance du TIAN :
- 56 États parties ont été présents à cette réunion ;
- 33 États présents en tant qu’observateur. Un statut qui regroupe à la fois les États qui ont signé, mais qui n’ont pas encore ratifié le traité (comme l’Algérie, le Brésil, Népal, Liechtenstein, …) et des États qui sont en dehors du processus du TIAN, mais qui souhaitent le suivre autant pour des raisons diplomatiques (Suisse), que pour être en accord avec leur propre coalition gouvernementale (cas de la Belgique et de l’Allemagne) ;
- Outre le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), il faut relever la présence de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA), du Secrétariat de l’organisation du Traité d’interdiction complète des essais nucléaires (CTBTO) et de l’Agence pour l’interdiction des armes nucléaires en Amérique latine et dans les Caraïbes (Opanal) ;
- 122 ONG étaient aussi inscrites, dont une grande partie membres de la campagne ICAN, venant principalement d’Afrique, d’Europe et du Pacifique Sud.
La France toujours absente !
La diplomatie française est restée une nouvelle fois en dehors de ce processus (comme l’ensemble des puissances nucléaires), preuve d’un malaise complet à engager des discussions. Une pratique politique en décalage complet, avec ce que l’on peut attendre d’une démocratie ; malheureusement cette expression du président Macron la traduit parfaitement : « tous les débats sont légitimes, mais ils sont aujourd’hui tranchés. La dissuasion fait partie de notre histoire, de notre stratégie de défense, et elle le restera » (vœux aux armées, 23 janvier 2018).
Cette chaise vide n’est pas « à la hauteur du risque » comme l’ont souligné 69 parlementaires français dans une tribune ; jamais un tel nombre de parlementaires n’avaient ainsi appelé a une présence de la France. Des parlementaires (M Guy Benarroche, sénateur, Mme Hinamouerra Cross, France, Polynésie, Mahoi nui) étaient notamment présent lors de cette semaine de la 2MSP.
La troisième réunion des États parties
La 3MSP aura lieu du 3 au 7 mars 2025 à New York au siège de l’ONU et se tiendra sous la présidence du Kazakhstan. D’ici là, le processus d’universalisations (art.12) va se poursuivre et est considéré comme « une des priorités ». Des États ont ainsi annoncé au cours de cette semaine leur volonté de ratifier ce traité (Brésil, Népal, Indonésie, Mozambique,…) dans les prochains mois. Des conférences parallèles sur l’impact humanitaire devraient se réaliser (en Europe) au cours du premier semestre de l’année 2024 pour engager de nouveaux États et de nouveaux publics, et le travail d’intersession (sur l’asssitance aux victimes, art6/7, l’élimination des armes nucléaires, art 4 notamment) va se poursuivre.
Paris, le 6 décembre 2023